Réflexions sur la traite et l'esclavage des nègres
de Ottobah Cugoano

critiqué par Oburoni, le 22 janvier 2012
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
Un Africain contre l'esclavage
Né dans l'actuel Ghana, Quobna Ottobah Cugoano (1757?-?) connut le triste sort des victimes du commerce triangulaire. Kidnappé par des Africains membres d'une autre tribu que la sienne alors qu'il n'était qu'enfant, vendu aux Européens, il finira esclave a la Grenade après l'horrible traversée de l'Atlantique. Son destin, pourtant, va différer crucialement de celui de la majorité des autres esclaves expédiés dans les colonies : vendu plusieurs fois, l'un de ses maitres l’emmènera en Angleterre où il obtiendra sa liberté et où sa vie va, radicalement, basculer.

Travaillant comme domestique pour le célèbre peintre Richard Cosway, converti au christianisme, il y vivra en effet au contact d'une vibrante petite intelligentsia faite de Blancs et de Noirs, écrivains, artistes, penseurs et politiciens qui lui ouvriront les portes du alors très actif courant abolitionniste. Cugoano, évidement, ne va pas se contenter d'évoluer parmi ce petit cercle; il va y contribuer de façon radicale avec ce "Réflexions sur la traite et l'esclavage des nègres", qu'il publie en 1787.

Ayant lui-même été esclave son expérience de la Traite forme un témoignage crucial pour mieux en saisir l'horreur. Etant Africain il dénonce, aussi, pas mal de préjugés circulant sur les cultures africaines; préjugés qui n'en servent pourtant pas moins à justifier l'esclavage. Cugoano en effet, c'est la tout son intérêt, ne fait pas que de raconter sa vie; illustrant la brutalité inimaginable de tout une institution. Il s'attaque aussi et surtout, méthodiquement et violemment, aux arguments pro-esclavagistes.

Outre une remise à l'heure des pendules sur la véritable nature de l'esclavage Noir africain (en fait des sociétés clientélistes que l'influence européenne va corrompre) il cite la Bible pour mieux gifler ceux qui s'en servent pour défendre l'esclavage. Il récuse les arguments racistes; ceux fondés par exemple sur la couleur de peau. Il ridiculise l'idée que les esclaves Noirs dans les colonies ont un meilleur sort que les pauvres serfs d'Europe. Il s'érige même en prophète, en appelant le peuple anglais à l'abolir afin d'éviter des punitions divines. Profondément chrétien, Cugoano souhaite non seulement la christianisation des esclaves et des peuples d'Afrique, il menace en effet surtout les esclavagistes de châtiments terribles s'ils s’obstinent à bafouer ce qu'il considère être les enseignements de la Bible. Il n'hésite d'ailleurs pas a affirmer que, si les esclaves s'insurgent leur violence sera, du fait des injustices affreuses qu'ils subissent, parfaitement légitime.

Il se répète souvent et son style, maladroit, est loin d’être fluide. Il n’empêche, "Réflexions sur la traite et l'esclavage des nègres", écrit par un Noir Africain qui en fut victime constitue une attaque sévère et pertinente sur l'institution esclavagiste. Ses arguments, à eux seuls, reflètent de manière intéressante toutes les tensions et enjeux du débat abolitionniste.

Un petit brulot, qui mérite d’être connu.