Ecartez le soleil
de Eyvind Johnson

critiqué par Débézed, le 11 janvier 2012
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Après le Grand soir
Eyvind Johnson, prix Nobel de littérature 1974, avec ce roman, publié en 1951, propose un livre très politique, engagé, militant, désabusé qui anticipe déjà sur ce qu’est devenue l’Europe centrale au temps des démocraties populaires. Il rassemble, dans un chalet, dans le no man's land frontalier, qui pourrait être près d’un lac alpestre, entre la Suisse et l’Italie dans une région où il a vécu, mais finalement nous ne le saurons jamais, huit personnages qui fuient car le coup d’état a foiré et la répression se met en place. Dans le huis clos qui s’installe entre les huit personnages qui ont trouvé refuge dans ce chalet, chacun va essayer de trouver un morceau de la vérité qu’il recherche car chacun des personnages présents a de bonnes raisons de connaître certains des autres participants sans forcément le savoir. Sauf un témoin, un Britannique qui rapporte ce qui s’est passé tout en évoquant le meeting de Churchill auquel il participait avec sa compagne.

Avant de conclure cet huis clos par une fuite vers l’étranger qui sera racontée, elle aussi, à sa compagne par le témoin britannique, l’auteur dresse un portrait de chacun des protagonistes à travers une suite de récits qui racontent leur parcours jusqu’à leur arrivée dans ce chalet où la tension est de plus en plus palpable chacun sentant que l’autre détient un morceau de la vérité qu’il recherche.

Dans ce roman qui évoque entre les lignes, et parfois même en pleines lignes, la construction de l’Europe centrale sur les ruines des dictatures où les stigmates sont encore visibles et même encore très sensibles, trois personnages au moins sont passés par les camps, l’aventure de ces hommes qui se sont dressés pour combattre pour la liberté, qui ne se sont pas entendus, qui se sont divisés et qui, dans une forme de « troïka » qui pourrait en évoquer d’autres, ont laissé le pouvoir retourner vers une autre forme de dictature. Une vision prémonitoire de la dérive des républiques populaires, une grande déception pour un homme engagé dans ce combat pour la liberté qui voit les libérateurs s’enliser dans l’impasse qui se referme comme l’étau des pouvoirs totalitaires sur le cou des peuples opprimés.

Cet échec du combat pour la liberté il faut bien l’imputer à quelqu’un, l’auteur à travers les métaphores dont il use abondamment, nous laisse penser qu’il appartiendrait peut-être à ceux qui ne se sont pas engagés car la neutralité n’est pas possible, l’histoire de chacun est un morceau, même infime, de l’Histoire. Et son discours évoque la liberté, l’engagement, la révolte, le courage mais aussi la trahison, la fuite, l’accaparation du pouvoir, la récupération personnelle de la gloire et du profit, dans un texte où le dialogue est parfois masqué, où chacun pense ce que l’autre pourrait dire, le dit ou ne le dit pas, une forme de discours larvé qui nourrit une forte tension car chacun pressent ce que l’autre est. Un livre très politique mais aussi une réflexion sur le temps qui n’est peut-être pas unique et linéaire mais qui se déroule peut-être sur plusieurs niveaux simultanément.

L’histoire d’un grand rêve avorté, L’histoire d’hommes qui ont cru en leur destin au service des peuples laissant trop souvent les femmes qui les entouraient à leur triste sort de simples victimes impuissantes.