Conciliabule avec la reine
de Jean-Marie Laclavetine

critiqué par Tistou, le 11 décembre 2011
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Ecriture en miroir
Deux romans dans ce roman ; celui de la lutte d’Etienne Fage, écrivain reclus dans son appartement au milieu d’un immeuble en réfection d’où l’on essaie de le déloger qui essaie désespérément de mettre la dernière main à son roman, entre deux traductions, entre deux tentatives désespérées de résistance passive. Et puis celui qu’Etienne Fage écrit ; celui d’Alice et Fred, d’Anne et Jean, un roman de fuite, de voisinage avec la folie … Au passage JM Laclavetine en profite insidieusement pour parler du processus de l’écriture, de la désespérance de l’écrivain à toujours courir derrière la ligne, toujours en retard d’un drame, toujours à devoir rabibocher un des personnages avec la trame qu’il lui a concocté, toujours … On ne doute pas un instant qu’il nous parle de sa propre activité d’écriture.
Quartier de la Bastille, à Paris, Etienne Fage est le dernier habitant d’un immeuble voué à devenir immeuble de bureau et à ce titre débarrassé de tout occupant et livré aux grues, perceuses, excavatrices, échafaudages, … Dernier, pas vraiment, puisque dans la chambre contigüe à son bureau dans lequel il écrit – ou essaie – nuit après nuit, il y a « La Der », une mystérieuse femme en fin de vie dont le dernier devoir sur Terre semble être de l’aiguillonner, de le stimuler, un rôle d’accoucheuse de roman en quelque sorte. Une figure de chœur antique, de tragédie grecque, chargée de sous-titrer l’indicible.

« Aux heures travaillées, l’immeuble oscille sur ses fondations. Des salopettes blanches s’agitent dans la volière des échafaudages, accompagnées par le caquetage volubile des truelles et des grattoirs, tandis que les scrapers grognent à la base du bâtiment.
Fage sort rarement avant le soir. Il passe ses journées dans un cocon de papiers et de livres, face au rectangle vitré à travers lequel il observe la cavalcade des nuages sur les toits gris ; une tête lunaire, maculée de peinture et de plâtre, flotte parfois à la surface du carreau , puis s’éclipse.
Partirai pas. Jamais, rumine-t-il en esquissant le geste de lancer un cendrier sur un de ces ballons portés par le vent. La Der, sceptique, tousse derrière la cloison. »

Et donc, Etienne Farge écrit. Il écrit l’histoire d’Anne, médecin d’institution psychiatrique, et de Fred, son fils de quinze ans. Anne qui a élevé Fred seule et qui rencontre tout à coup Jean, le voisin du dessus, enfermé lui-aussi, comme Etienne Farge, dans son appartement à réparer des montres et des systèmes d’horlogerie, Jean avec qui une relation se noue au grand dam de Fred. Fred, lui, a rencontré Alice à l’institution où travaille sa mère. Et Fred a laissé Alice lui jeter son grappin dessus. Et ça va être compliqué car Alice est une fracassée de la vie, enfin de l’enfance pour l’instant …
Etienne Farge joue une course contre la montre entre ce roman à terminer et les tentatives d’expulsion qui se font toujours plus insistantes. Il y a La Der dans tout ça pour l’aider à mener ça à bien …
Et JM Laclavetine dans tout ça ? Sans nul doute il se cache en morceaux éclatés dans certains de ces personnages. Mais lui seul saurait recoller les morceaux. Nous, on n’est pas là pour ça. On retient notre souffle pour avoir le fin mot de l’histoire entre Alice et Fred, Anne et Jean, Fred et Anne, avant qu’Etienne et La Der dussent définitivement fuir l’immeuble assiégé.