Lire cette tragédie a été un plaisir ! C’est bien dommage d’ailleurs que parmi les pièces de Corneille elle ne soit pas plus connue. La narration est très équilibrée, l’écriture y est extrêmement fluide, les vers sont sublimes (« Il est mon crime seul, si je suis criminelle », « Aimer cet inconstant, c’est tout ce que j’ai fait », « oui, tu vois en moi seule et le fer et la flamme / Et la terre et la mer, et l’enfer et les cieux »), les personnages très bien mis en valeur. Sans doute que l’exploitation du mythe d’origine, qui était puissant, y est pour quelque chose, mais encore ne fallait-il pas se louper (on a vu bien des scénaristes modernes gâcher un beau sujet en voulant l’adapter ou le réécrire !).
Là, franchement, je trouve que le dramaturge normand a assuré. La tension est bien rendue, notamment quand Jason et Médée se renvoient à leur responsabilité respective : à qui est due la Faute ? A Médée qui a agi dans l’intérêt de Jason, ou à Jason qui a « manipulé » cette femme ? Corneille brosse d’ailleurs un portrait très réussi de Médée, femme blessée et diabolique. Ceux qui aiment les pièces qui finissent mal ne seront pas déçus, puisque pour le coup les corps (et les âmes) souffrent et le sang coule à flot. On pourra dire bien sûr que Corneille en fait un peu trop, mais cela ne m’a pas choqué, d’autant plus qu’il prend le soin a contrario d’être d’une grande sobriété, d’une grande pudeur, concernant l’assassinat des enfants de Médée.
On retrouve également un Jason assez proche finalement de celui décrit par exemple dans les Argonautiques d’Appolonios de Rhode, à la fois héros auréolé de sa quête prestigieuse mais homme un peu versatile et dont la gloire est sujet à discussion, car elle est due aussi bien à lui-même qu’à ses compagnons et surtout qu’à la Princesse de Colchide, que pourtant il abandonne et répudie.
Fanou03 - * - 49 ans - 3 juin 2021 |