Le marché de la faim
de Max Annas, Erwin Wagenhofer

critiqué par OC-, le 20 septembre 2011
( - 27 ans)


La note:  étoiles
Indispensable
Encouragé par Jean Ziegler, rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, ce livre-documentaire est à mon avis indispensable à la meilleure compréhension des enjeux liés à l'agriculture et aux problèmes de faim dans le monde. Divisé en chapitres spécifiques à chaque type d'aliments (légumes - viande - poisson - eau virtuelle - etc.), le journaliste décrit avec précision, en rencontrant les acteurs et les spécialistes-experts du sujet, les mécanismes de notre agriculture mondialisée. Et, comme ça, partout -que ce soit pour les courgettes, le pain ou le chocolat, que ce soit cultivé en France, aux USA ou au Congo - surgissent des aberrations à en faire perdre la tête, des injustices et des imbécilités à ne plus rien comprendre. Il faut se rendre à l'évidence, notre agriculture ne respecte ni le pacte social qui la lie aux agriculteurs, ni le pacte environnemental qui la lie à la planète et aux générations futures, et ni même le pacte sanitaire qui la lie aux mangeurs.
Il commence par nous exposer l'horreur sociale et écologique des légumes andalous, cultivés hors-sol et sous serre par des immigrés marocains qui sont payés une misère et n'ont aucun droit (pas de retraite, etc.), arrosés de pesticides (les légumes, pas les immigrés...), qui parcourent souvent plus de 3000 km en camions pour arriver à destination en n'ayant jamais aperçu de rayon de soleil. Nous partons ensuite pour les USA, où la monoculture intensive entraîne détérioration du sol, en absorbant toutes ses substances nutritives, et destruction de l'écosystème et de la biodiversité. On sait par exemple qu'aujourd'hui il y a plus d'abeilles dans nos villes surpollués que dans les campagnes.
En regardant l'agriculture, on est aussi obligé de critiquer la mondialisation, qui n'est que la mise en concurrence de régions dont le potentiel productif est énormément inégal. C'est à cause de cette mondialisation et du libéralisme économique que des pommes de terre européennes arrivent trois fois moins chères que les pommes de terre africaines sur le marché de Sandaga, au Sénégal. Que peut faire le paysan sénégalais? En travaillant nuit et jour il n'aurait aucune chance de s'en sortir. Il n'a plus qu'à tenter de passer le détroit de Gibraltar... et de remercier les occidentaux qui ont détruits l'agriculture locale. Toujours dans le même registre, il y a un clair lien entre la production destinée à l'Europe et la faim. Ainsi, les producteurs de café touchent moins d'1/1OO du prix final, et c'est la même chose pour les producteurs de chocolat. Dans ce chocolat, c'est aussi de l'eau, si rare dans leurs contrées, qu'ils exportent.
La liste est longue et je ne peux pas, ici, tout vous citer : cela prendrait des pages, malheureusement. Mais ces exemples confirment ce que je disais plus haut : notre agriculture ne respecte ni le pacte social, ni le pacte écologique, ni le pacte social. Et pire, notre agriculture entraîne la faim dans les pays dits "sous-développés" ( je ne reviendrai pas sur la critique de cette expression... ).


Pour finir, je dirais que, ce qui ressort de ce livre, ce sont des questions fondamentales : que font nos politiques contres ces aberrations-injustices-imbécilités? Rien, à n'en pas douter, nos politiques - la plupart, du moins - ne bougent pas, et n'osent même pas parler de ces problèmes liés à l'agriculture. Mais alors, pourquoi font-ils rien? Est-ce le poids des lobbys, par peur de perdre des emplois? Ne sont-ils pas au courant de la situation? On a du mal à y croire.
Mais alors, comment faire? Que faire? Là encore, il n'y pas de recettes miracles, mais des voies à explorer. Tout d'abord, la relocalisation de l'agriculture doit être une priorité, que ce soit pour le Nord ou pour le Sud, pour des critères écologiques et sociaux. Nous devons ensuite nous orienter vers une agriculture biologique, agro-écologique, moins carnée et paysanne, ce qui serait d'ailleurs un remède à la crise de l'emploi. Pour y arriver, on peut recenser trois niveaux de résistance : individuel (acheter local, bio, boycotter le chocolat, café, bananes, Coca-Cola qui assèche les nappes phréatiques indiennes, etc.), associatif (le mouvement Slow Food, REPAS, les AMAP ou encore les SEL sont de parfaits exemples) et politique ( je ne vois aujourd'hui, n'en déplaise à certains, que le Parti de Gauche et le NPA qui luttent contre les politiques agricoles actuelles et qui remettent en cause la mondialisation; EELV intègre la critique de l'agriculture productiviste mais pas vraiment celle de la mondialisation, ce qui démontre une fois de plus leur approche assez superficielle de l'écologie développement durable à la Hulot).