Mais il part...
de Marie-Sophie Vermot

critiqué par Cyclo, le 15 août 2011
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Des étrangers
Et, parmi les étranges « étrangers », il y a les sidéens. Au centre du beau roman de Marie-Sophie Vermot, Mais il part... Justement, le héros, Saul, un lycéen de seize ans, pour se faire l'argent de poche nécessaire à l'acquisition de la guitare électrique de ses rêves, accepte de promener la chienne de Kyle, qu'il a sauvée un jour où elle allait se faire écraser en traversant la rue. Or, Kyle est sidéen. Saul découvre que Kyle, dont l'ami José est mort du sida deux auparavant, est bien seul, totalement abandonné par son père Jude depuis qu'il lui a annoncé qu'il préférait les garçons (Jude a rayé le mot « homosexuel » de son vocabulaire). Et d'une certaine façon, Kyle pourrait dire comme l'héroïne de Anne-Marie Garat, dans Les mal famées : "Il m‘a paru que nous étions seules au monde. Nous l‘étions bel et bien, elle arrivée de ses cinquante ans de solitude, et moi de mes dix-huit ans d‘orphelinat à domicile." Kyle est isolé par sa maladie, Saul par son adolescence difficile.

Ce job est donc pour lui l'occasion de prendre un peu le large, de s'éloigner de parents un tantinet trop stricts, qui ne pensent que baccalauréat, diplômes, révisions, alors que le jeune homme ne rêve que musique (mais il n'a rien dit à ses parents de ses envies) et a pour seul objectif de « faire partie de l'existence, tout simplement », comme il le dit à ses parents. Bien entendu, il leur a caché la réalité de la maladie de Kyle, qui, quand ils l'apprennent, lui interdisent de continuer à fréquenter le malade. Le jeune homme va alors trouver la force de se rebeller (il pourrait dire comme le voyou du poème d'Essénine, "J‘ai aujourd‘hui très envie / De pisser par la fenêtre sur la lune"), soutenu d'ailleurs par son grand-père. Kyle, cet homme décharné, ne marche plus qu'avec des béquilles. Et peu à peu, il entre dans la phase terminale de son sida. Sa nièce Bettina vient s'occuper de lui et se lie d'amitié avec Saul. La mère de Bettina, sœur de Kyle, arrive à lui faire accepter l'hospitalisation pour sa fin de vie, à le placer à l'hôpital, et ça m'a mis les larmes aux yeux, pensant à ce qu'écrivait Christian Bobin (dans "La folle allure") : "J‘ai seulement pensé que le mot placement était un drôle de mot - le même pour les gens et pour les sous." Cette rencontre, cette maladie, c'est l'occasion pour Saul de mûrir et de se rendre compte qu'un "morceau de son adolescence venait de s'achever. Une période pour ainsi dire révolue, au cours de laquelle il était passé de la révolte à l'apprentissage de soi. À présent, sa vie commençait", telle est la conclusion de ce roman délicat, tout en nuances.

On le voit, en ce moment, la littérature est en plein dans ce problème des "étrangers" que sont aussi les vieux (tout aussi solitaires, abandonnés), les handicapés, et tous ceux qui cumulent ces diverses étrangetés. Quand je vois comment on les traite, je vois à l'œuvre ces « certains germes d‘inhumanité qui, dans notre société, sont pour ainsi dire plantés à la racine même du mérite supérieur », que stigmatise George Steiner dans son remarquable livre "Lectures".