Les Troyennes
de Euripide

critiqué par Perlimplim, le 11 août 2011
(Paris - 47 ans)


La note:  étoiles
Un Monument
Euripide a créé"Les Troyennes" en 415 avant Jésus-Christ, et signe là une oeuvre extrêmement originale. Aucune intrigue à proprement parler, mais une pièce linéaire, centrée autour du personnage d'Hécube. Euripide avait déjà écrit une tragédie du nom de la reine de Troie presque dix ans auparavant, mais sous un angle assez différent. "Les Troyennes" se passent à la fin de la guerre de Troie, la ville est vaincue, tous les hommes troyens sont morts, et ne restent que les femmes regroupées autour de leur reine, face à leur sort, face aux hommes grecs. Ces derniers se partagent les Troyennes, comme butin. Les différentes femmes (Hécube, Cassandre, Andromaque, Hélène) réagissent selon leurs caractères et leurs destinées respectifs. Toute l'oeuvre réside donc dans la parole, qui est élégie, et non dans l'action. "Les Troyennes" est l'oeuvre sans doute la plus pathétique (au sens fort du terme) d'Euripide, une des plus fortes, une des plus émouvantes. L'adaptation de Jean-Paul Sartre se révèle efficace et juste. Hécube se fait plus volontaire, moins hésitante que dans l'original. Elle est une reine dans toute sa noblesse, et de là, appelle davantage à la compassion.
Une oeuvre forte et émotionnelle, largement commentée par les spécialistes, mais dont la seule lecture suffit à elle-même pour saisir pourquoi "Les Troyennes" sont un de ces monuments littéraires intemporels.
Les chants les plus désespérés sont aussi les plus beaux 7 étoiles

Les Troyennes, dans cette version adaptée par Jean-Paul Sarte à partir de la pièce d’Euripide, est un texte magnifique et puissant, une mélopée, une plainte à la fois ancrée dans son contexte antique et qui résonne pourtant terriblement dans notre monde contemporain. Perlimplim l’a parfaitement dit dans sa critique: il n’y pas vraiment d’action dans cette pièce, juste un chant de désespoir et de haine, dont Hécube (mère d'Hector et de Pâris), une des rares survivantes au carnage, est la principale interprète. Malgré cette absence d’intrigue on est surpris par la force du récit et par l'ampleur de sa dramaturgie.

Pleurant ses enfants disparus, maudissant les Dieux, Hécube, profondément humaine, personnifie une Mater dolorosa ravagée par la perte de ses proches, jusqu’à en perdre parfois toute dignité. Les différents actes de la pièce sont rythmés par la rencontre de l'ancienne reine de Troie avec différents protagonistes féminins: Cassandre, sa fille devenue folle, Andromaque, qui préfère se tuer plutôt que d’épouser l’ennemi et enfin bien sûr Hélène, la tentatrice, figure ambiguë toujours prête à utiliser les circonstances à son profit (voir la scène X et son face-à-face avec Ménélas).

Ce sont donc bien les femmes qui sont au cœur de la pièce, et les enfants (le sort cruel de Astyanax y est évoqué), ceux qu’on appellerait aujourd’hui les victimes collatérales de la guerre. Les hommes sont cette fois-ci les figurants, soient qu’ils sont morts (Hector, Achille), soit qu’ils portent le poids des conséquences du conflit (Ménélas). Mais Euripide nous rappelle que le destin des Hommes reste aux mains des Dieux: la pièce s’ouvre par un monologue rageur de Poséidon déplorant la destruction de Troie, elle se referme sur ce même Dieu préparant une vengeance appelant à nouveau le sang.

Fanou03 - * - 48 ans - 9 juin 2016


Il reste les femmes pour pleurer 8 étoiles

La guerre de Troie est terminée, les Troyens sont tous morts et les femmes pleurent et se lamentent sur la perte de leur mari, père, amant et fils. Hécube était la reine de cette ville tant aimée et il ne lui reste rien sauf son petit-fils mais pas pour longtemps car il subira un sort tragique aux mains des vainqueurs. Hécube n’a plus d’espoir, elle est vieille et courbée. Elle se doute bien du sort qui l’attend, celui d’esclave condamnée à exécuter de viles taches pour un homme grec qu’elle abhorre. Son époux a été assassiné de même qu’une de ses filles et tous ses fils. Les autres femmes sont tout aussi éprouvées et toutes, elles attendent de s’embarquer sur les navires grecs qui les amèneront dans leur nouveau pays. Le malheur s’est abattu sur Troie qui n’est plus que ruines et désolations. Hécube maudit Hélène et la rend entièrement responsable de ce désastre mais celle-ci se défend et tente de rejeter la faute sur Pâris.

Une tragédie grecque très forte, dérangeante, émouvante et surtout, mettant en scène des femmes qui ont tout perdu. Je tenais à lire cette pièce car dans son livre « Le carnet noir », Michel Tremblay y fait référence souvent. J’ai donc lu l’édition de Leméac dont le texte français est rédigé par Marie Cardinal. Elle a aussi rédigé une très belle préface. La pièce fut crée en avril soixante-douze au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal. On ne peut dissocier Michel Tremblay du théâtre donc lire cette pièce, c’était plonger encore plus dans son univers si particulier et qui me touche au plus haut point.

J’ai apprécié cette lecture. La pièce est de toute beauté et frappe l’imagination. Une tragédie d’une infinie tristesse. Comment ne pas être émue par le sort de ces femmes accablées de douleur et désormais vouées à servir un peuple qu’elles haïssent et méprisent ?

« Pourtant, s’ils nous haïssent tant, ils auraient pu nous exterminer tous, qu’il ne reste rien, absolument rien de Troie. Pour eux c’était facile. Alors pourquoi épargner les femmes ? Pourquoi disséminer les Troyennes partout dans l’univers, sachant que nous allons, chacune de notre côté, chanter notre ville, nos héros, nos richesses, notre histoire ? Pourquoi les dieux agissent-ils de telle sorte que notre splendeur soit répandue et reconnue par les générations à venir ?... Je crois qu’il existe entre les dieux et Troie des liens secrets et troubles qui font ressembler leur haine à de l’amour ? »

Dirlandaise - Québec - 68 ans - 27 février 2013