Madame Jenny Treibel
de Theodor Fontane

critiqué par Jlc, le 24 juillet 2011
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Deviens ce que tu es
Au milieu du dix neuvième siècle, l’allemand Théodor Fontane fut d’abord journaliste avant d’écrire, la soixantaine venue, des romans qui eurent un grand succès. Ces débuts tardifs expliquent, comme le montre Pierre Grappin dans sa préface, qu’on ne trouve dans ses livres que des sentiments raisonnables. Ici, nulle passion ravageuse mais la description dénuée de toute illusion d’un monde pourtant en pleine mutation. Fontane constate plus qu’il n’imagine. Ce romancier est d’abord le chroniqueur de son temps, celui où la Prusse devient l’Allemagne. Il écrit avec la sobriété, la claire-voyance et la sérénité d’un « vieillard qui est déjà un peu hors de son temps ».

« Madame Jenny Treibel » est le récit d’une ascension sociale dans une société qui passe des valeurs prussiennes à la réalité moderniste. Jenny, fille d’un petit épicier berlinois, a renoncé à un amour de jeunesse, avec Willibald Schmidt, aujourd’hui professeur, pour épouser Treibel, un industriel qui a réussi dans les affaires et rêve maintenant des honneurs d’une carrière politique. Ils ont deux garçons, eux aussi dans le commerce et l’aîné est marié à une jeune femme de Hambourg, cité rivale de Berlin. Schmidt a une fille, Corinne, forte personnalité amoureuse du second fils Treibel.
Ces personnages sont les prototypes de la bourgeoisie allemande de la fin du dix neuvième siècle avec Treibel qui représente la classe fondatrice, celle qui va faire la richesse du pays ; avec Jenny qui vient de la classe montante, d’autant plus attachée à son statut qu’il est récent ; avec Schmidt intellectuel sans réelle ambition si ce n’est celle de pouvoir débattre à perte de nuit ; les enfants qui sont des héritiers. Pour compléter le tableau, on signalera un intrigant qui abuse de la naïveté politique de Treibel et deux vieilles aristocrates qu’on invite à dîner parce qu’elles eurent un temps leur entrée à la cour.

Ce roman est plus intéressant par la description de cette société bourgeoise qui a l’arrogance de se qualifier « de chef d’œuvre » que par une intrigue fort ténue. « Corinne épousera-t-elle Léopold ? » a moins d’attrait que les tableaux de mœurs que brosse Fontane avec une grande finesse psychologique. Il décrit une Allemagne qui sera toujours partagée entre sa foi industrielle et son besoin d’idéal. Jenny en est un bon exemple, elle qui entretient la nostalgie de ses jeunes années avec Schmidt, tout en étant « entièrement absorbée par des questions de formes extérieures ».

Si certains débats sont aujourd’hui quelque peu surannés et alourdissent le récit, « Madame Jenny Treibel » est une bonne traduction littéraire d’une société qui construit sa puissance et dont la devise aurait pu être ce que Schmidt conseille à sa fille : « Deviens ce que tu es ».