La légende du mont Ararat
de Yachar Kemal

critiqué par Tistou, le 6 juin 2011
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Une légende qui ne fait pas dans le simplisme !
« Il est un lac sur le flanc du Mont Ararat, à quatre mille deux cents mètres d’altitude. On l’appelle le lac de Kup, le lac de la Jarre, car il est extrêmement profond, mais pas plus grand qu’une aire de battage. A vrai dire, c’est plus un puits qu’un lac. Il est entouré de toutes parts par des rochers rouges, étincelants, acérés comme la lame du couteau. Le seul chemin menant au lac est un sentier, creusé par les pas dans la terre battue, moelleuse, et qui descend, de plus en plus étroit, des rochers jusqu’à la rive. Des plaques de gazon vert s’étalent ça et là sur la terre couleur de cuivre. Puis commence le bleu du lac … »

Il est acquis, en ce pays du Mont Ararat, qu’un cheval qui vient de lui-même attendre à la porte d’une habitation appartient au propriétaire de cette habitation. Le berger Ahmet trouve un beau matin un magnifique cheval blanc l’attendant à la porte de sa maison. Par trois fois, il l’éloignera sur la route. Par trois fois le cheval reviendra marquant ainsi sa nature de cadeau du Tout-Puissant. Problème : ce magnifique cheval blanc était en fait la propriété de Mahmout Khan, le Pacha ottoman. Autre problème : se débarrasser d’un cadeau réputé venir du « Tout-Puissant » est impensable. Dès lors tous les ingrédients sont en place pour une tragédie humaine au pied du Mont Ararat, à l’Est de la Turquie.
Yachar Kemal narre cette tragédie sur un mode épique. Les tourments de Ahmet, et de Gulbahar, la fille de Mahmout Khan, qui tombe évidemment en amour avec Ahmet, emprisonné et voué à la mort, ne nous paraissent pas pour autant totalement « exotiques » et en dehors du monde réel. Il faut dire que le traitement psychologique de cette tragédie est très fin et rend à cette légende une parcelle de réalité virtuelle.
Il n’y a pas de recherche forcenée de la victoire du Bien sur le Mal, et d’abord, ce qui forme le Bien ou le Mal dans cette légende est étroitement imbriqué. Et la révolte du peuple d’Ararat suite à l’injustice faite à Ahmet sonne terriblement juste en ces temps de « révolutions » arabes, tunisienne ou égyptienne. Peut-être écrira-t-on un jour la légende de Kasserine ou du Caire ? Pas avec un cheval blanc, mais avec un équivalent du Mahmout Khan !