Les récits de Sébastopol
de Léon Tolstoï

critiqué par Dirlandaise, le 4 mai 2011
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
L'enfer de Sébastopol
L’épisode principal de la guerre de Crimée, le siège de Sébastopol, qui dura onze mois, du 9 octobre 1854 au 8 septembre 1855, constitue le thème principal de ces trois nouvelles. Tolstoï y décrit la vie dans les tranchées et nous entraîne dans les rues de la ville où la vie des habitants se poursuit malgré les bombardements. Il nous fait visiter un hôpital militaire pour ensuite nous introduire dans les blindages et nous faire partager la vie des officiers et des soldats contraints de partager un espace réduit mais s’accommodant de bonne grâce des mauvaises conditions sanitaires et des difficultés d’approvisionnement.

Les deux premières nouvelles sont excellentes mais la dernière est un véritable chef-d’œuvre. Tolstoï y met en scène deux frères qui se retrouvent à combattre dans l’enfer de Sébastopol et connaissent chacun un sort tragique. Volodia, le plus jeune, est particulièrement attachant. Il est tourmenté à l’idée d’être un lâche mais, lorsque l’heure vient de s’exposer au danger, il réalise que ses soldats le sont encore plus que lui, ce qui remonte son amour-propre et lui fait accomplir des actes défiant toute prudence, dans le but de se prouver à lui-même son courage et sa loyauté envers la patrie.

Tolstoï multiplie les scènes tragiques ainsi que les descriptions de blessés et de cadavres. Son style puissant nous plonge au cœur de la tourmente de la guerre comme si nous y étions. Nous suivons les combattants sur les bastions et pénétrons à leur suite dans les tranchées. Nous partageons leurs craintes, leurs espoirs et leur dégoût de la guerre. Les instants d’accalmie sont remplis de camaraderie et de bonne entente. On rit, on fait des blagues sur les uns et les autres tout en sachant très bien que plusieurs ne survivront pas aux heures suivantes car le danger est toujours présent.

Tolstoï se plaît à décrire les conditions matérielles de la guerre mais il aime aussi analyser le caractère des hommes face au danger. La lâcheté côtoie la bravoure, l’amitié et l’attachement des uns contraste avec l’indifférence des autres. Chacun affronte cet enfer selon sa nature et l’éducation qu’il a reçue. Les différences de statut et de grade militaire influencent le comportement des hommes et le regard que porte Tolstoï sur la vanité et la vantardise qu’affichent certains est d’une lucidité remarquable.

Pour bien apprécier ces trois nouvelles, je me suis documentée un peu sur la guerre de Crimée et le siège de Sébastopol. J’ai pu ainsi mieux m’y retrouver et comprendre le contexte de ces récits qui prennent parfois des allures de reportages de guerre. C’est très militaire et les termes employés sont parfois déroutants pour les néophytes.

« Resté seul avec ses pensées, Volodia ressentit tout d’abord un profond dégoût en face de la confusion et de la désolation où se trouvait plongée son âme. Il avait envie de s’endormir et d’oublier tout ce qui l’entourait et lui-même en premier lieu. Il souffla sa bougie, s’étendit sur le lit et, quittant sa capote, s’en recouvrit entièrement la tête afin d’échapper à sa terreur de l’obscurité qu’il avait gardée depuis l’enfance. Soudain l’idée lui vint qu’une bombe pouvait arriver, défoncer le toit et le tuer. Il prêta l’oreille ; juste au-dessus de sa tête retentissaient les pas du commandant. « D’ailleurs, s’il en tombe une, pensa-t-il, elle tuera d’abord là-haut, puis moi ensuite ; tout au moins, je ne serai pas tué seul. » »