Gabriel
de Valérie Tong Cuong

critiqué par Lucien, le 5 mai 2002
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Ni ange, ni bête.
Publié en 1999, entre «Big» et «Où je suis», «Gabriel» est l’un des trois romans où Valérie Tong-Cuong déploie quelques variations sur la première personne. Pour le quatrième livre, en préparation, elle franchira le cap difficile de la narration à la troisième personne. Si «Où je suis» présente une narratrice qui offre quelque ressemblance au moins physique avec l’auteur – une jeune femme plutôt agréable à regarder -, on a l’impression que ce cap n’a été atteint que tardivement, après deux métamorphoses où le couple auteur-narrateur marquait nettement sa différence, comme si Valérie Tong-Cuong voulait éviter tout amalgame entre sa personnalité et celle de ses protagonistes. Dans «Big», le «je» s’incarne en une jeune femme obèse – le contraire pondéral de l’auteur –, dans «Gabriel», c’est à travers le regard d’un homme de 63 ans que nous découvrons les choses. La jeune femme incarnée en vieil homme, un peu comme Yasmina Reza dans «Une désolation». Gabriel et sa voix d'ange… Gabriel, qui, quand il chante l'Ave Maria de Schubert, arracherait des larmes à un tueur… Gabriel, ses trente-quatre ans d’irréprochable union avec Anne, l'épouse parfaite. Gabriel et ses deux enfants, Elba, fruitée comme une pêche, et Sylvain, l’œdipe pas bien digéré, le «petit con», le fils. Gabriel, à un an de la retraite… Gabriel qui, comme un personnage de Simenon – on songe à «L'homme qui regardait passer les trains» ou au «Passage de la ligne» -
voit soudain, contre toute attente, l'impossible franchir les portes de la vie quotidienne. Pour rien. Un repas en famille, le dimanche à midi. Une fenêtre ouverte. Le ronronnement d’une tondeuse. Les mots irréparables prononcés, la porte ouverte, un train pris. Gabriel pète les plombs. L'ange sent naître en lui le démon. Et puis des rencontres - Serge l’hémiplégique, Mad sa troublante amie, Julius le Revenant –, et l'espoir d’une nouvelle vie, et les visions, les voix, les évanouissements, tout l’ordinaire de la folie. Jusqu'au renoncement ? Jusqu’au vide ? Jusqu’au sursaut ? Bref, un livre attachant. Même si le lecteur adhère difficilement à l'idée de départ - le bon papa gâteau qui largue soudain les amarres -, il continue, curieux de voir où Valérie Tong-Cuong l’emmène, il continue de plus en plus intéressé, de plus en plus convaincu, il va de surprise en surprise, à la découverte d'un homme, au même rythme que cet homme qui sent monter en lui, comme dans une expérience de «rebirth», cet «autre» inquiétant que chacun porte en soi. Ni ange, ni bête, ce Gabriel. Un homme, quoi.