Le carnet de danse
de Émile Zola

critiqué par Zagreus, le 13 avril 2011
( - 40 ans)


La note:  étoiles
Doux rêve, dure réalité
Voici un petit recueil composé de deux des neufs « Contes à Ninon » publiés en 1864.
Dans « Le carnet de danse », le narrateur s’adresse à Ninon, sa muse, écho de sa prime jeunesse en Provence. Il évoque le souvenir d’une promenade avec elle en forêt au cours de laquelle ils surprennent des paysans en train de danser au milieu d’une clairière, au son d’un fifre. Cette évocation est le prétexte d’une réflexion sur l’art de la danse : Il préfère l’apprécier comme spectateur (« J’aime à suivre des yeux le tourbillon léger ; je cherche à surprendre tous les regards, toutes les paroles d’amour… ») et plutôt à l’air libre que dans les salons (« Ses fines jambes s’embarrassent dans les grandes jupes de nos élégantes ; elle se trouve par trop gênée, elle qui ne veut être que liberté et que caprice… »). S’il la supporte « sous les lustres, sans trop de tristesse », c’est grâce au carnet de danse (sorte d’aide-mémoire pour la danseuse qui contient le nom des partenaires qui l’ont sollicitée). C’est d’abord pour lui « un moyen tout primitif de rendre la justice en accordant à chacun son tour. » Mais c’est aussi un livret charmant et « malin » car il permet à la jeune fille, sans choquer les convenances, d’y lire une liste de déclarations sous-entendues. Ainsi, confident des secrets du cœur féminin, « il l’accompagne dans la vie, ainsi qu’un ange d’amour versant à pleine main les espérances et les souvenirs. » De cette caractérisation générale, le narrateur en donne une illustration avec l’exemple de Georgette, seize ans, à peine sortie du couvent. Après une soirée de bal, elle se réveille tard le matin et, en attendant la femme de chambre, feuillette son carnet. Elle s’arrête sur certains noms, se demande si Charles doit être un jour son mari, s’abandonne à de naïves rêveries… Soudain le carnet se met à parler : Il attire son attention sur M. Edmond, la révélant à elle-même…

Pour « Celle qui m’aime », le narrateur change. Un jeune homme s'interroge sur la condition et l'aspect de sa promise encore inconnue : une grande dame « mignonne et légère comme un rêve » ? Une « vierge folle » ? Une « brune paysanne » ? Une pauvresse ? Perdu dans la foule d’un champ de foire un jour de fête, il la cherche : « J’allais, suivant du regard les jeunes filles qui me souriaient au passage, me disant que je ne reverrais plus ces sourires ». Il découvre bientôt une « baraque ». A l’entrée, une espèce de magicien ne cesse de crier : « Entrez, entrez voir Celle qui vous aime ! Pour deux sous Celle qui vous aime ! » Le jeune homme se laisse tenter : « Ses promesses répondaient au désir de mon cœur ; je voyais une Providence dans le hasard qui venait de diriger mes pas. » A l’intérieur, il se retrouve devant une glace sans tain. « Je m’approchai, j’appliquai, sans trop d’émotion, mon œil droit contre la vitre ». Une femme ravissante, accoudée à un fauteuil, porte « une longue robe blanche, à peine serrée à la taille, traînant sur le plancher en façon de nuage ». Elle tourne les yeux et lui envoie, avec révérence, un baiser. « Je fixai ses traits dans ma mémoire, et je me retirai ». Plus tard, alors que le dernier lampion s’est éteint, il heurte une ombre dans une allée. Il identifie « Celle qui m’aime ». Ce n’est plus qu’ « une pauvre fille de la terre, vêtue d’indienne déteinte » qui ne le reconnaît même pas. Elle lui paraît encore charmante malgré tout. Il baise sa main, serre son bras autour de sa taille et l’accompagne. Où allons-nous ? lui demande-t-il. Elle hausse les épaules : « Mais où tu voudras, chez moi, chez toi, peu importe » puis raconte comment elle a fini par trouver pour tout travail « à sourire depuis six heures jusqu’à minuit »…

Ecrites pendant la période bohème de Zola, jusqu’à son embauche à la librairie Hachette, ces histoires reprennent les caractéristiques habituelles du conte : le merveilleux, les figurations traditionnelles du bien et du mal, etc… Elles reflètent aussi son ancienne vocation à la poésie, son héritage romantique, son oscillation entre l’allégorie et la vraisemblance (fines observations sur la société de son époque), et montrent, loin des poncifs scolaires, la grande diversité de ses thèmes et de son écriture. Deux contes donc qui confrontent une quête fantasmatique, illusoire avec la vie réelle, prosaïque. Si le premier semble un peu faiblard, Zola, dans le second, prouve encore une fois qu’il est un nouvelliste majeur.