Tokyo ville occupée
de David Peace

critiqué par Aliénor, le 25 mars 2011
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Etrange affaire
Ce 26 janvier 1948 à Tokyo, une agence de la Banque Impériale ferme ses portes lorsqu'un homme s'y présente. Porteur d'un brassard l'identifiant comme médecin, il demande à tous les employés de se rassembler autour de lui car il est chargé de leur administrer un remède contre la dysenterie qui fait rage dans le quartier. Mais aussitôt après l'avoir ingurgité, douze personnes meurent dans de terribles souffrances.

Partant de ce fait divers réel, l'auteur entreprend ici de donner sa vision des faits. Pour cela, il donne la parole à des victimes, à des témoins, à un journaliste...autant de personnes qui apportent un éclairage et un ton différent à chaque témoignage. Litanies, articles de presse, lettres, rapports de police, le texte de compose ainsi de fragments qui disent tous l'horreur, l'incompréhension, la peur, le complot. Et qui, s'ils n'élucident pas le mystère, affirment tout de même que les choses furent bien plus complexes que cela n'a été dit, et que l'homme condamné dans cette affaire était vraisemblablement innocent.

L'écrivain qui dans ce livre donne la parole aux acteurs et victimes de ce drame, semble être peu à peu possédé par son sujet. Comme s'il ne maîtrisait plus les voix libérées par sa plume. Ce qui fait de « Tokyo ville occupée » un livre bien étrange, dont la lecture n'est pas toujours aisée en raison de la forme de certains des témoignages de ces douze fantômes exhumés de l'oubli. C'est un très curieux roman noir, que l'on pourrait parfois être tenté de refermer mais par lequel il faut se laisser porter jusqu'au bout. Ne serait-ce que parce qu'il ne ressemble à aucun autre.
Immense 10 étoiles

Ce second volet de la trilogie nipponne de Peace, indépendant des deux autres (chaque roman propose une intrigue indépendante), en est incontestablement le sommet, et un des sommets de l'auteur. Un roman prenant et hypnotique influencé par "Rashomon" (le roman et le film de Kurosawa qui s'en inspirait), dans lequel les différentes facettes d'un crime étaient montrées via des points de vue divers (témoins, victimes, enquêteurs, meurtrier...). Ici, un fait divers authentique survenu dans une banque tokyoïte en 1948 est vu au travers de plusieurs points de vue, comme autant d'invocations. Le fait divers ? Un homme étrange se faisant passer pour un agent du ministère de la santé entre dans une banque au moment de sa fermeture, pour administrer un soi-disant "remède préventif" contre une épidémie de dysenterie aux employés et clients, en réalité, un poison qui va presque tous les tuer horriblement.
Le roman nous montre les victimes, enquêteurs, témoins, parler de cette histoire, on a aussi des bribes dans le passé et un sinistre camp d'expérimentations militaires nippon de la seconde guerre mondiale, l'Unité 731, est abondamment évoqué. Au final, tout s'imbrique (il restera cependant des zones d'ombre) et forme une oeuvre aussi étrange, même parfois difficile à lire, que complexe et passionnante. Un vrai chef d'oeuvre, n'ayons pas peur des mots.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 21 juin 2023