Prologue au silence
de François Jacqmin

critiqué par Sissi, le 7 mars 2011
(Besançon - 53 ans)


La note:  étoiles
Le silence est d'or, le prologue au silence aussi.
« Commencer,

c’est à dire,
s’écarter du sujet. »

Alors commençons, hors sujet, pour s’en rapprocher après.
Décédé en 1992, d’une grande profusion dans ses écrits (10 poèmes par jour), François Jacqmin en a caché beaucoup.
C’est donc quelques vingt caisses de textes inédits qui débarquent en 1997 aux archives et musée de la littérature de Bruxelles, léguées par sa veuve.
Des pages et des pages remplies, annotées, gribouillées et noircies.
Un vrai travail d’archéologue s’impose alors, et de cette fouille minutieuse ont déjà été extraits « Eléments de géométrie » paru chez Tétras Lyre en 2002, et le présent « Prologue au silence », dont il eût été dommage de se priver.

Dans la préface, Francis Edeline présente ces textes comme des textes gnomiques (définition : « qui exprime des vérités morales sous forme de proverbes ou de maximes »), pour le « tranchant de leur contenu ».
Mais si on se réfère une fois de plus au dictionnaire, la poésie étant définie comme « l’art d’évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives, par l’union intime des sons, des rythmes, des harmonies », alors ce sont des textes gnomiques/poétiques.

Ce recueil juste est juste une invitation au recueillement.
Au silence. Il parle peu mais dit l’essentiel sur l’incapacité à dire, l’impossibilité de dire, la nécessité de ne pas dire. Sur la défiance vis à vis de la parole. Le signifié et le signifiant. La béance entre les pensées, ce qui s’exprime dans les interstices du langage. Sur le mot dans la tête plutôt que sur la bouche.

« Je crains le verbe ;

c’est sous ses auspices
que le Tout
envisage d’être une loi. »

Qu’écrire de plus lorsque le verbe se fait rare pour mieux dire le bien-fondé du non-dire ?
Vient donc le moment de la chute, et surtout pour moi le temps de me taire.

« Chaque mot
est à faire suivre
d’une pause de silence,

afin que se referme
la cicatrice
de ce qui est dit. »

Chut.
« Chaos de la logique » 8 étoiles

Le poète, François Jacqmin, à sa mort, a laissé une quantité très abondante de textes dont un ensemble, suffisamment cohérent, a pu être extrait pour constituer ce recueil. Dans sa postface, Catherine Daems, suggère qu’« Il a en fait laissé des recueils à la discrétion d’amateurs qui, les publiant, participent à la constitution de son œuvre. » Si cette hypothèse peut-être acceptée, nous ne pourrions qu’apprécier cette démarche qui laisse une place au lecteur dans la conception finale du document qui sera proposé aux lecteurs suivants.

Cette quantité de textes restée inédite démontre peut-être que l’auteur craignait effectivement les mots (même ceux qu’il employait et assemblait), le verbe, les certitudes – « Il faut s’étonner d’une certitude » - préférait le flou, l’incertain, l’esquisse,… à une réalité trop contraignante.

« Il arrive un jour
Où l’on accorde le statut
De vérité
A la vérité

Faute de mieux. »

Cette prudence à l’encontre des mots se manifeste particulièrement dans le présent recueil qui est constitué de trente poèmes courts, quelques vers, quelques mots seulement, pour dire le néant qui était avant, la vacuité, l’incertitude, le brouillard, le flou, … qui précédaient le monde et qui devraient être encore car il faut se méfier du verbe… « et que ce prologue s’éternise »

Débézed - Besançon - 76 ans - 7 mars 2012