Histoire du 36, Quai des Orfèvres
de Claude Cancès

critiqué par Hamilcar, le 21 février 2011
(PARIS - 68 ans)


La note:  étoiles
Maigret en sursis?
« Les évènements mémorables ne ressemblent jamais à ce qu’on attend d’eux ». Cette citation est de Georges Simenon. L’a-t-il faite sortir de la bouche même du commissaire Maigret ? On pourrait le présumer, réflexion d’un homme du 36 dans une volute de fumée de pipe.
Le 36 ? Celui du Quai des Orfèvres, bien entendu, là où encore certains y voient comme nostalgique une lumière éclairée face à la Seine, celle du commissaire que l’on ne présente plus. Et qu’on aurait bien du mal à présenter, car l’âme n’est pas la fiction. Le 36, c’est avant tout des hommes, ayant existé, existant, et seront pérennes tant que le 36 sera le 36 dans leurs tripes. Même transférés demain du côté des Batignolles, les fantômes quitteront les quais sans amertume, tant pis pour l’existant, restera la mémoire face à la Seine. Et pour ceux qui hantent encore au quotidien les lieux, bien au-delà de la nostalgie, une déchirure.
Rarement un lieu n’a suscité autant de passion pour ceux qui l’ont fréquenté. Je ne parle bien évidemment pas de ceux contraints par la procédure pour expliquer leurs crimes. Mais les flics, lambdas, de réputation, voire d’anthologie ? Tous ceux qui ont gravi cet escalier raide comme une échelle et que ne dédaignerait pas le réalisateur de films début de siècle. Tout y est rétro. On croit y entendre Audiard. Ce n’est plus conforme à la norme, c’est usé, dites à Maigret qu’il prépare ses cartons.
Claude CANCES est un de ces flics. Un de ceux qui pourrait mettre l’empreinte de sa main dans les murs du 36, à l’instar des vedettes américaines sur leur trottoir. Il a vu le 36, l’a écouté, l’a senti respirer. Il commet donc un livre, mais dès le début de sa lecture, on sait qu’il ne l’a pas écrit pour se mettre en avant, lui et sa carrière exemplaire, mais pour son 36, le sien qu’il partage avec tant d’autres, tant d’autres grands flics comme lui, et tant d’autres encore, aussi grands mais sans le prestige, anonymes, mais de la grande famille des flics.
Pour commencer, CANCES remonte le temps et nous transporte à la naissance de la police judiciaire. Dans l’escalier, il y a Vidocq et Bertillon. Mais aussi les Julots casse-croûtes de la Mondaine, les bandits des bas quartiers. Bonnot et Pierrot le fou, Violette Nozières et Alexandre Staviski y ont laissé des traces. Et l’horrible docteur Petiot qui devançait son temps pour affirmer que non, les sérials killer, ce n’est pas qu’américain, ce n’est pas que moderne, ça a toujours existé.
Il a fallu s’adapter. La Crim après les truands, trop souvent, pas les moyens. La première voiture en dotation pour la police est le résultat d’une multitude de braquages bancaires par transport automobile ! Plus d’un siècle après la découverte de la possibilité d’exploitation des traces digitales, la naissance seulement d’un fichier pour recentrer les empreintes !
La police judiciaire a eu du cran, extérieurement mais aussi en interne. Les affaires sont les affaires. Mais quand elles touchent l’irrationnel, le politique par exemple, on pressent des têtes en lévitation, prêtes à tomber. C’est le faux vrai attentat de l’observatoire, l’affaire Markovic ou le meurtre du prince de Broglie, l’enlèvement du baron Empain et bien plus tard, un suicide à l’Elysée.
Les flics jouent en permanence sur un fil tendu. Il n’y a pas le choix entre tomber d’un côté ou de l’autre du fil, il faut juste ne pas tomber. CANCES finira par tomber avant l’heure de sa retraite plus que méritée. Le choix d’un ministre, comme ça, pour changer, et qu’il fallait sans doute un bouc émissaire après les attentats de 95. CANCES finira au cimetière des éléphants, dans le jargon des flics placardisés. Mais CANCES n’a aucune prétention ; il est juste une âme du 36 qui fréquentera encore et toujours son 36, jusqu’aux Batignolles s’il le faut. Pour ne pas oublier ses potes tombés en service, Jacques Capéla à l’ambassade d’Irak, son ami, pour traquer encore les membres du gang des postiches, présentés par une certaine presse comme Robins des Bois Modernes, sauf que le fric, ils ne l’ont redistribué à personne, sauf que le flic mort est le résultat d’une de leurs balles. Des Thierry Paulin, tueur de vieilles dames, ou des Human Bomb bardés de dynamite, ça ne s’invente pas. Pour Claude CANCES, c’est du souvenir.
Ce livre n’est pas un polar. Mais ça se lit comme un polar. Et comme le disait Simenon (encore lui. Ou Maigret ?) « Les flics de la Crim’ ne parlent jamais d’intuition ni de flair. Le mot génie est étranger de leur vocabulaire. Ce sont juste des gens de métier »
Claude CANCES aime parler de son métier. Il y associe tant de grands noms de la police judiciaire que je désespérais de ne pas lire un peu de reconnaissance pour les gardiens de la paix et gradés des corps en tenue, souvent aux premières loges des drames qui se construisent. C’est enfin fait page 501. La maison police enfin réunie. Mais avouons que dans cette maison il y a une table particulière, la 36. S’y mettre, c’est un peu vendre son âme.