L'empathie au coeur du jeu social
de Serge Tisseron

critiqué par Germain, le 7 janvier 2011
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Vous avez-dit "empathie" ?
Présentation de l'éditeur
« La capacité d’empathie est inhérente à l’espèce humaine. Elle implique de pouvoir se mettre à la place d’autrui et de ressentir ce qu’il éprouve, aussi bien pour s’attrister que pour se réjouir avec lui. Mais l’être humain est également doté d’une faculté tout aussi grande de mettre son empathie en sommeil. L’histoire du XXe siècle, jalonnée de barbaries, en est la preuve. Aujourd’hui, d’autres menaces pèsent sur elle, comme la logique de guerre à laquelle conduit la concurrence économique ou les nouvelles technologies qui virtualisent nos interlocuteurs. Dans les deux cas, l’autre devient un étranger, ou pire, un ennemi.
Pourtant, comment expliquer que nous puissions si facilement renoncer à l’empathie alors qu’elle est si profondément enracinée en nous ? D’où viennent les forces qui nous en éloignent ? Et comment la réveiller ? »


Le dernier livre de Serge Tisseron intitulé L’empathie au cœur du jeu social répond à ces questions de façon pertinente et vraie. Son auteur n’est pas seulement un psychiatre et un psychanalyste ayant écrit de nombreux livres stimulants comme Faut-il interdire les écrans aux enfants ? (en collaboration avec Bernard Stiegler ) ; il s’agit aussi d’un chercheur interdisciplinaire fort lucide, à la fois capable de mettre le doigt là où ça fait mal… et de faire mouche, comme ici dans cette invocation salutaire d’une grande idée sociale perdue.

Mais qu’est-ce au juste qu’ « avoir de l’empathie » ? : c’est être d’abord capable d’écouter sa propre sensibilité, d’être attentif à ses propres émotions et à celles d’autrui ; c’est se mettre « à la place de », à la façon d’un acteur habité. Cette faculté restaure un lien profond entre soi et le monde ; elle permet d’accepter et de comprendre notre environnement, mais aussi de se construire dans l’estime de soi et la confiance : « La capacité d’empathie est inhérente à l’espèce humaine. Sinon, pourquoi les mères présenteraient-elles à leur bébé ce qu’il attend, comment les amoureux pourraient-ils si bien s’entendre sans se parler, et quel plaisir trouverions-nous à voir sur un écran des acteurs faisant semblant d’éprouver des émotions ? » Or, menacée par les ravages de l’impérialisme virtuel et par les mécanismes techno-industriels de destruction de l’autre, l’empathie mérite plus que jamais de revenir à l’ordre du jour. C’est ce que démontre l’auteur en prenant en compte la chaîne des âges, de la prime enfance à l’âge mûr ( « Le bébé est une véritable éponge émotionnelle capable d’imiter totalement les sensations et les émotions de l’adulte » ), en décryptant aussi le réel : « Quand la télé. tue l’empathie », « Nouvelles technologies : un monde sans corps ? », « Quand l’institution attaque l’empathie » , voire, enfin, en nous proposant des exercices salutaires (« Pour favoriser l’empathie : Apprenons à jouer »). Last but not least, l’auteur démonte les rouages machiavéliques du dogme mortel de « l’évaluation », cette folie de la mesure industrielle à ranger d'urgence dans les placards - ô combien funestes - de la stigmatisation nazie : « Les procédures dites « d’évaluation » qui se répandent à tous les niveaux sont en réalité des procédures de dévaluation de l’humain (…) elles creusent des fossés infranchissables entre les évalueurs et les évalués, et c’est ce qui fait d’elles de formidables machines de guerre contre l’empathie ». Bref, une lecture hautement stimulante et enrichissante.