La Géométrie des sentiments
de Patrick Roegiers

critiqué par Kinbote, le 5 décembre 2010
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Couples modèles
Le livre adopte une forme ternaire de 9 x 9 chapitres. Neuf, écrit l’auteur, « parce que neuf est un nombre néfaste, dernier de la série des chiffres, clos de la boucle, désignant la totalité des trois mondes (le ciel, la terre, les enfers). »

Chaque partie raconte l’histoire d’un double portrait et du peintre qui l’a réalisé. Cela va de Van Eyck au XVème siècle avec son portrait des époux Arnolfini à David Hockney (qui s’en est d’ailleurs inspiré) pour sa peinture des époux Clark, début des années 70. Dans un style fleuri, dense qui ramasse de nombreuses informations, mais aussi souvent indigeste et répétitif, nous traversons les places financières, commerciales et culturelles qui ont fait l’histoire de l’Europe occidentale depuis six siècles : Bruges avec Van Eyck, Venise avec Titien, Anvers avec Rubens, Amsterdam avec De Hoocht, l’Angleterre de Gainsborough et Wright of Derby, Ostende et Ensor, New York avec Hopper et Londres à nouveau avec Hockney.

Roegiers décrit avec force expressions imagées (toutes y passent) les coïts (qui sont comme les coulisses des scènes représentées) des différents acteurs de ces tableaux auxquels, souvent, le peintre était lié. Roegiers finit toujours par nous informer du délitement de ces couples qui avaient posé pour la postérité. Ces écarts, ces impossibilités qui iront en s’accentuant, le peintre attentif aux signes donnés lors de la séance de pose, les a détectés puis injectés, à sa manière, dans la composition. Chaque tableau de couple est ainsi comme la chronique d’une séparation annoncée. Comme si seule la toile avait pour mission de garder la trace de leur éphémère union.

« Le portrait double est un de ses motifs préférés, écrit Roegiers à propos d’Hockney, car il capte la tension qui sévit entre les êtres. »

Au final, un exercice d’érudition (on croirait lire un morceau d’encyclopédie) et un défilé de mots rares (idéal pour étoffer son vocabulaire) mais l’émotion est rare ou diluée, comme empierrée, dans cet étalement de savoirs. L’univers de Roegiers s’apparente à celui du cinéaste (plusieurs titres de sa bibliographie l’attestent) Peter Greeneway. Comme à son égard, on est en droit de poser le même jugement: intelligent mais trop froid, trop cérébral. Géométrique, pour tout dire, et en cela, le produit fini répond au cahier des charges. Oui, on peut rendre compte des sentiments en termes de lignes, de combinaisons de figures et de couleurs étudiées. Puisqu’au bout du compte les sentiments disparaissent, pris dans le tourbillon du temps et l’espace du quotidien, pour renaître sous d’autres formes, en d’autres temps et latitudes. Ne demeurent, parfois, que les vestiges picturaux de ces noces rompues. Destinées alors à être ranimées par les mots.