Rafistouli
de Philippe Koulianov

critiqué par Lucien, le 13 mars 2002
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Vian rafistolé par «Les inconnus».
Septième volume de la collection «Embarcadère», «Rafistouli», de Philippe Koulianov, annonce la couleur dès le titre, complété de ce qui ressemble à sa définition : «Pratique de la soudure en amateur». Il ne faut pas chercher à tout prix un rapport logique absolu entre ces expressions et le contenu du livre, même si la «quatrième» nous oriente dans cette voie : «Philippe Koulianov aime la pizza, le hip-hop et les romans policiers. Dans ce premier roman plein d’humour, il fait l’éloge de la rébellion, du recyclage, de la récupération sous toutes ses formes.» Non, il ne faut pas traiter ce livre comme un roman classique, même s'il l’est par certains aspects, comme le respect de l’ordre chronologique, la narration à la troisième personne, l'emploi du vieux couple imparfait / passé simple, la division en trois parties (début, milieu, fin ou, ici, fête qui permet d’échapper au réel, retour sur terre, révolte). La première partie, narration d’une joyeuse guindaille, évoque irrésistiblement les romans mineurs de Boris Vian comme «Vercoquin et le plancton» ou «Trouble dans les Andains»,
Exemple : «A ce moment, Craig mit un morceau plus paisible, et une certaine Janine se dirigea vers les platines pour réclamer un disque. Vif comme l'éclair et assez enclin à tuer dans l’oeuf ce genre de velléité, Benjamin lui coupa le chemin au moyen d’un coup de pied au tibia. Sax était quelqu'un de prévoyant. Le cri qui franchit la bouche de l'importune produisit un effet admirable sur les premières mesures de "When your red turtle drinks a beer like a fool", et plusieurs convives se levèrent comme pour applaudir.» A titre de comparaison, un extrait de Vian («Vercoquin et le plancton», Folio, p. 20) : «A ce moment, le disque s’arrêta et Antioche se dirigea vers l'instrument pour écarter les gêneurs. Le pick-up était automatique et personne n'avait besoin de s'en approcher. Mais une certaine Janine assez dangereuse pour les disques était là, et Antioche voulait éviter toute complication. [.] A ce moment précis retentissaient les premières mesures de "Until my green rabbit eats his soup like a gentleman", et le Major fut mordu au coeur par l’aiguillon d’une puce qui se trouvait coincée entre sa chemise et son épiderme.» De même, peu après, les joyeux compères prennent place dans un étrange véhicule bringuebalant de marque fantaisiste, la «Cardebrye» : «Pendant la fin du trajet, la Cardebrye se mit à faire de drôles de bruits et à fumer méchamment. Juste en arrivant devant la propriété, les roues s'affaissèrent et le capot eut un dernier soubresaut.» La lecture de «Vercoquin et le plancton» ne laisse aucun doute : la «Cardebrye» est aussi un emprunt à Boris Vian. «Le Major, au volant d’une superbe Cardebrye rouge compétent, monta en prise l’allée de son jardin et s'arrêta devant le perron avec une maestria remarquable. La voiture repartit en arrière [.] et elle alla s’écraser contre le mur prolongeant la grille du parc, sans rien abîmer qu'un vernis du Japon pas tout à fait sec et qui fut légèrement éraflé.» («Vercoquin», Folio, p. 39). Dans la deuxième partie, Koulianov se dégage de l’influence de Vian pour explorer un univers universitaire absurde qui évoque Courteline, Kafka, Jarry ou «1984» de George Orwell : Benjamin cherche à conquérir son «certificat B-1756» ; pour ce faire, il doit se plier aux aberrations d'un système totalitaire et stupide dont la «télévision scalaire», présente dans toutes les chambres de la cité universitaire, constitue l’un des pions majeurs. Le ton devient jeune et branché, avec un côté Bertrand Blier qui mettrait en scène Campan, Bourdon et Légitimus : «Le pédé ! Vous avez vu ça, le pédé ? Il a sketté ma chope ! Quel connard !» Enfin, dans la dernière partie, la révolte de Benjamin l’amène à une sorte de joyeux terrorisme masqué, et l’on songe, cette fois, à Nicolas Ancion : «Les témoignages des enfants et des promeneurs étaient unanimes : c'est Mickey et Donald qui avaient fait le coup. Dans une voiture jaune. […] C’est Mickey qui conduisait». «Rafistouli», de Philippe Koulianov. De bons moments assurés à la lecture de ce «patchwork», de ce «rafistolage» qui combine diverses évidentes influences avec un ton souvent personnel qui devrait s'épanouir dans les années à venir.
De belles promesses 6 étoiles

J'ai lu ce livre à sa sortie, l'an passé, et mon souvenir en est déjà flou. Pas bon de prime abord. Pourtant, je me souviens l'avoir réellement apprécié à l'époque. Un ton décalé mais juste, une histoire trouvant sa force dans l'absurde, des mots qui frappent très fort et des phrases qui les martèlent. Voilà ce que j'en ai gardé.

Cependant, les personnages ne sont pas assez attachants, il leur manque un petit quelque chose. Et pour moi, le relief des personnages dans un roman est quelque chose de primordial.
Mais n'oublions pas que c'est un premier roman. Je lirai certainement le prochain Koulianov.

Sorcius - Bruxelles - 54 ans - 24 janvier 2004