La révolution de la Croix : Néron et les chrétiens
de Alain Decaux

critiqué par Dirlandaise, le 12 novembre 2010
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
"Les chrétiens aux lions ! À mort les chrétiens !"
Comme j’aime bien Alain Decaux, j’ai décidé de lire une partie de son œuvre à commencer par ce livre sur le personnage de Néron, que tout le monde connaît et abhorre. Monsieur Decaux, en bon historien et excellent conteur, narre en parallèle l’histoire des premiers chrétiens de Rome et celle de Néron, cet enfant que tout prédestinait à devenir empereur. Monsieur Decaux tire ses sources d’auteurs comme Tacite, Dion Cassius, Flavius Josèphe, Pline l’Ancien et Plutarque. Il en résulte un récit fort intéressant et d’une qualité historique certaine. Le lecteur suit l’ascension du sinistre personnage de l’enfance à sa mort à l’âge de trente ans seulement. Néron est un des empereurs les plus connus et controversés. Alain Decaux s’attarde sur ses frasques, ses extravagances et ses cruautés ce qui ne contribue pas à rehausser la réputation de l’homme ni son image. Pourtant, je me disais que cet empereur ne devait pas posséder que des défauts. Ce qui nous parvient, ce sont surtout ses mauvaises actions et ses débauches. En me faisant cette réflexion, je tombe sur ce paragraphe que le subtil Alain Decaux a fort judicieusement placé sans doute dans le but de répondre au questionnement que de nombreux lecteurs ont dû se faire tout comme moi. Je le reproduis au bas de cette critique car il est fort éloquent.

Néron prend presque toute la place dans ce livre mais l’histoire de la chrétienté primitive est aussi un thème majeur de l’œuvre. Nous retrouvons donc les apôtres et les Pères de l’Église. Le rapport entre Néron et les chrétiens est assez tendu pour employer un euphémisme. Il les accuse d’avoir incendié Rome et s’acharne sur eux en usant d’une cruauté innommable. Monsieur Decaux nous décrit avec force détails les persécutions dont bon nombre d’entre eux furent l’objet. Ce qui ressort aussi du récit, c’est l’immense écart existant entre les humbles chrétiens et la puissance démesurée de l’empereur qui nage dans le luxe et une richesse insolente. Suite à l’incendie de Rome, il se fait construire une immense demeure, la Maison d’Or (Domus Aurea), qui achève de ruiner l’Empire. Comment ne pas penser à Versailles en découvrant la démesure de cette demeure.

Un ouvrage fort bien construit et d’un intérêt historique certain. J’avais parfois l’impression de lire un manuel scolaire mais les frasques de Néron excitèrent tellement ma curiosité que j’ai poursuivi ma lecture malgré ce léger bémol. C’est un livre qui ne réconcilie pas avec le genre humain. A-t-il tellement changé cet être humain ? Je ne crois pas mais les persécutions se font de nos jours plus subtilement. De plus, le livre donne à réfléchir sur le risque d’accorder un pouvoir immense à un seul homme et voir ainsi toute une population livrée à la folie et à la paranoïa d’un despote sanguinaire.

Un bon point pour monsieur Decaux en ce qui concerne l’analyse faite du caractère de Néron et de la motivation sous-jacente à ses cruautés. Sur ce il me rejoint en ce sens que nul homme n’est entièrement mauvais et condamnable. J’ai beaucoup apprécié cette compassion de sa part et je la partage.

Une intéressante bibliographie se retrouve en fin de volume ainsi que deux annexes, la première narrant une visite effectuée par l’auteur à la Domus Aurea et la deuxième relatant une visite des catacombes. Excellent ouvrage donc note en conséquence.

« L’idée de conquérir le pouvoir n’a jamais hanté le jeune Néron. Seule l’y a conduit l’ambition d’une mère allant jusqu’à user du poison pour parvenir à son but. Lui-même ne ressentait de passion que pour le théâtre, la musique, les exercices du corps, les jolies filles et parfois les garçons. Ses sujets l’ont vu gai, voire exubérant, mais n’ont rien su de la sensibilité maladive dont il souffrait. Quand on lui dénonçait ceux qui pouvaient lui nuire ou attenter à sa vie, il tremblait. La confiance judicieusement accordée à Sénèque et Burrus a permis pour un temps de juguler cette angoisse. Une fois Burrus mort et Sénèque évincé, le naturel, conforté par l’absence de tout interdit moral ou religieux, l’a emporté. Le temps des crimes est arrivé. Mué en « histrion », — mot sans cesse répété sous son règne —, il a perdu le respect de ses sujets. Ayant d’abord cherché à composer avec le Sénat, il y a renoncé, se créant ainsi une cohorte d’ennemis n’existant plus que pour leur revanche. »