La femme pauvre
de Léon Bloy

critiqué par Falgo, le 13 octobre 2010
(Lentilly - 84 ans)


La note:  étoiles
Lu comme on visite un musée
Avant de lire ce livre, Léon Bloy n'était pour moi qu'un nom et une citation, de mémoire probablement erronée: "la grande misère des pauvres est que personne n'a besoin de leur amitié." Cela appelait un a priori favorable.
J'ai vraiment lu ce livre comme on visite un musée, impression de temps révolu, de pensée et de sentiments datés, dépourvus d'universalité. Etrange.
L'histoire de cette jeune femme misérable, élevée par un couple à la Thénardier, sauvée une première fois par un peintre, ensuite par un de ses amis, n'est pas inintéressante, quoique assez convenue. La description de la misère parisienne ne nous épargne rien, dans un style à la fois châtié et violent, faisant penser à celui de Céline.
Exemple pour la description de l'ivrogne beau-père Chapuis:" Il y avait comme un pressentiment de vertige sur ce mufle de basse canaille couperosé par l'alcool et tordu au cabestan des concupiscences les plus ordurières. Une gouaillerie morose et superbe s'étalait sur ce mascaron de gémonies, crispant la lèvre inférieure sous les crénaux empoisonnés d'une abominable gueule, abaissant les commissures jusqu'au plus profond des ornières argileuses ou crétacées dont la litharge et le rogomme avaient raviné la face. Au centre s'acclimatait, depuis soixante ans, un nez judaïque d'usurier ponctuel où se fourvoyait le chiendent d'une séditieuse moustache qu'il eût été profitable d'utiliser pour l'étrillage des roussins galeux."
Le récit est entrecoupé de discussions plus ou moins mystiques entre les amis du peintre, largement déconnectés de l'histoire principale et qui, à mon sens, suscitent cette impression de musée d'une pensée dépourvue de tout intérêt.
Une véritable peinture en prose 10 étoiles

Et oui, Léon Bloy peut dire ce qu'il veut et il nous émerveille. L'histoire de "La femme pauvre" est plutôt banale ou du moins déjà évoquée mille fois par les Zola, Hugo, Balzac...
Mais la force de ce roman/peinture, à l'instar de tous les romans de Bloy, c'est sa prose atypique épousant le mystique pour éclairer le réel. Lorsque l'auteur se met à décrire la misère inéluctable la plus abjecte il nous plonge dans un enfer abyssal et cauchemardesque mais tellement réel. Les mots des pauvres gens ne suffisent pas à décrire leur quotidien mais ce qu'ils ressentent est mis en exergue de manière sublime par Bloy. Quel passage magnifique et combien glauque quand Léopold et Clothide s'installent dans une maison miteuse remplie de cafards. Le talentueux auteur travestit la simple banalité tragique en un évènement satanique obscurément imagé.
Certaines sont certes un peu ennuyeuses par moment mais il est difficile de fermer ce livre avant son dénouement tant on reste pantois devant ce film qui défile derrière les mots projetés par l'artiste Bloy.

Un roman écrit au pinceau, des phrases qui ne dévoilent leur identité qu'à leur dernier mot, la finesse poussé à son firmament,...

Un roman parfait peut-être un peu inachevé mais tellement Beau. Bloy était un fin observateur de la Vie et surtout de l'Etre Humain dans ce qu'il a de Grand pour mieux faire chuter l'animalité qui réside en chacun de nous. A lire absolument.

Ravachol - - 40 ans - 13 juin 2011