Robespierre
de Laurent Dingli

critiqué par Falgo, le 11 octobre 2010
(Lentilly - 84 ans)


La note:  étoiles
Une somme de premier ordre et d'un passionnant intérêt
On a beaucoup écrit sur Robespierre, à charge et à décharge, entre l'effroi et l'admiration. Laurent Dingli, il le dit dans son prologue, a été fasciné par le personnage. Son interrogation l'a conduit à une étude profonde et détaillée qui suscite l'admiration. Il explique ainsi son propos: "A tort ou à raison, Robespierre est considéré comme le principal symbole de la Révolution et surtout de la Terreur. C'est à dire qu'il est en même temps associé à l'une des pages les plus brillantes et à l'une des plus noires de l'histoire nationale. Ce contraste apparent n'est-il pas au coeur de l'énigme? Et comment expliquer la rencontre entre la France et Robespierre? Pourquoi cette union débouche-t-elle sur des noces de sang?"
Dingli a probablement tout lu sur le sujet, sa bibliographie et ses 1265 notes en font foi. Constamment, il semble avoir été taraudé par les questions précédentes et la recherche passionnée des réponses correspondantes.
Rien ne lui échappe, de la formation à Arras, des débuts de petit avocat de province, de son entrée progressive en politique, de ses ressorts psychologiques, des hommes et des évènements qui entourent son parcours. Ce curieux mélange d'idéologie froide, de souci théorique pour les plus démunis et d'intransigeance morale a de quoi fasciner. Cela donne 500 belles pages d'une écriture d'un style impeccable, parfaitement claire et compréhensible. Elles débouchent sur la conclusion qui résume le livre: "Si Robespierre s'est servi du peuple français pour nourrir ses inquiétudes personnelles, le peuple français s'est servi de Robespierre en croyant calmer sa peur panique née de la disparition du père symbolique. Or le médecin appelé au chevet de la nation était en même temps son assassin."
J'ai lu ici ou là des opinions défavorables à ce livre, jugé trop critique à l'égard du personnage. Il s'agit bien ici d'un point de vue étayé et argumenté. D'autres points de vue sont sans doute possibles, probablement liés à une lecture différente des mêmes sources ou à la prise en compte de sources différentes ou à des opinions politiques préalables.
Pour moi, qui n'ai aucun engagement politique, au delà de la personne et de ce qu'elle a engendré, ce livre aide à comprendre bien des ressorts des régimes communistes (Staline, Mao, Castro et autres), voire à décrypter certains langages politiques actuels.
P.S.: Je ne résiste pas à ajouter à cette critique une citation tirée du denier opus de Pierre Michon, les Onze: "Les frères, les tueurs associés de Capet le Père, les orphelins qui ne trouvaient plus le sommeil depuis la mort du père, s'entre-tuaient par la force accrue de la vitesse acquise, machinalement et comme machiniquement - et c'est pourquoi la grande machine à couteau sise place de la Révolution, la guillotine, est le si juste emblème de ce temps, dans nos rèves comme dans le vrai."
Robespierre caricaturé par effet de mode 5 étoiles

Il est une chose qui montre immédiatement le propos réducteur de l'auteur, tout au long de l'ouvrage, et c'est cette tendance qu'a Laurent Dingli à nous peindre Robespierre sous les traits d'un paranoïaque, à tout rapporter à cette définition de lui comme d'un homme qui aurait été animé par l'unique ressort de la peur et de la méfiance à l'égard de tous, ce pourquoi il aurait vu partout des ennemis, en particulier chez tous ceux qui ouvraient la bouche pour le contredire, même pour des choses de moindre importance, et qu'il se serait fait un plaisir d'expédier par les bons soins du Tribunal révolutionnaire à la guillotine, et cela pour satisfaire chez lui la conviction qu'il avait chaque fois raison sans voir qu'il se mettait chaque fois en position de se retrouver seul contre tous et qu'à force de vouloir "écrabouiller l'adversaire", il allait rencontrer un front uni d'adversaires déterminés à mettre fin à ce despotisme et à cette folie sanguinaire.
Nous savons tous que l'esprit totalitaire repose sur la prise en mains des destinées collectives par des personnages redoutables affligés de cette peur maladive et obsessionnelle avec l'envie de contrôler tout et de faire surveiller tout le monde et de s'organiser pour se débarrasser de tel ou tel considéré au moindre signe d'opposition comme ennemi mortel.
Cela est vrai, mais attention, dans le cas de Robespierre, on ne retrouve pas vraiment tous ces aspects qui nous permettraient de le ranger dans cette catégorie des "malades qui nous gouvernent" ou de ces fous qui ont tyrannisé leur peuple dans le passé, et dans laquelle nous rangeons, sans distinction, les Staline, Mao et autres grands dictateurs de gauche.
Et nous atteignons ici le cœur du problème, le sang répandu au nom de la défense d'une idée, bref l'idéologie.
C'est ici que Laurent Dingli a atteint ses limites, à trop focaliser sur le défaut majeur de Robespierre, il en a oublié d'analyser la pensée de l'homme et son programme. Une pensée ne mériterait-elle donc pas qu'on s'y arrête dès lors qu'elle serait venue d'un homme qui aurait fait le vide autour de lui au nom de la défense de certaines idées ? C'est ici qu'il est nécessaire de ne pas confondre les intentions de départ et les actes constatés. On ne va pas se dérober en disant que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Il faut pousser plus loin et dire pourquoi Robespierre s'est bien retrouvé à un moment isolé dans sa manière de penser et d'agir et dans la direction qu'il voulait prendre.
Le tableau, en réalité se résume à ceci, au fait que la Révolution a été stoppée avant qu'elle n'eût atteint le but ultime qu'un cœur pur doit se proposer, la réalisation de l'un des trois principes qui fondent encore aujourd'hui notre République : le principe d'égalité. Quand on dit que la Révolution française a été faite par des bourgeois et pour des bourgeois, cela exclut donc ceux qui ne font pas partie de l'élite, de la catégorie des possédants, des dirigeants et des "entrepreneurs", et qui forment ce que l'on appelle le "peuple", un peuple qui fait peur à celui qui a, à celui qui possède, un peuple dont on se méfie, comme s'en méfiait Voltaire qui s'entendait en son temps avec les "Despotes éclairés" pour que l'esprit des Lumières pénètre les couches aisées de la société et permette à la bourgeoisie de partager un jour le pouvoir avec la noblesse, pour éviter une prise de pouvoir violente, mais en veillant bien sûr à maintenir le peuple à sa place, celle des petites abeilles travaillant au service de la reine dans la ruche humaine. Le peuple fait peur aux bourgeois, qui s'en sont servis pour faire la Révolution, leur petite révolution et n'ont reconnu de sacré que la liberté d'entreprendre et le droit de propriété, qui les ont fait graver dans le marbre de la Déclaration des droits de l'homme et ont veillé à ce que tout s'arrêtât là, et que l'on ne parlât surtout pas d'égalité ou en tout cas pas beaucoup.
Robespierre, dont la pensée était d'inspiration plus rousseauiste, faisait davantage confiance aux hommes qui ne font pas partie de l'élite que La Fayette, Bailly, Mirabeau, Brissot, Danton et Desmoulins. Car même Danton, qui avait trop tiré parti du système, se méfiait du peuple, lui qui prétendait, plus que Robespierre, s'en réclamer. Il clamait : "De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !" et appelait le peuple à prendre les armes en disant que la patrie était en danger et qu'il fallait défendre nos frontières contre les armées ennemies venues de l'étranger et envoyées par les monarques et aristocrates des autres puissances européennes pour mettre fin chez nous à l'expérience révolutionnaire avant qu'elle ne s'expatriât et ne les menaçât. Ce cher Danton en envoyant les gens du peuple au front était bien content d'éloigner de nos villes ce trop-plein de révolutionnaires issus du peuple qui risquaient à terme de menacer l'ordre bourgeois en retournant contre leurs armes contre les possédants et en poursuivant plus loin l'œuvre de la Révolution, la vraie, celle qui consiste à imposer plus d'égalité. Le cher Danton, nous le savons, garantissait à l'ennemi que les élites sauraient maintenir le peuple sous leur autorité, qu'il n'en fallait pas douter, et en échange il avait reçu, au début, l'assurance de certains princes, chefs des armées prussiennes et autrichiennes, que l'on ne nous ferait la guerre que mollement, en nous évitant l'humiliation de la défaite. De plus, ne parlons pas de ce sur quoi Danton a fondé les sources de ses revenus, hors profession d'avocat, et son train de vie personnel pendant les années où il a exercé "un peu de pouvoir". On voit bien à cela qu'il ne pouvait pas y avoir de point de rencontre entre Danton et l'Incorruptible Robespierre. Mais cessons de parler de Danton, et revenons à Robespierre, personnage plus fascinant que Danton.
Au livre de Laurent Dingli, fort intéressant quand il s'agit de caractériser Robespierre dans certains de ses travers, nous opposerons, pour faire contrepoids, "Robespierre, politique et mystique" d'Henri Guillemin, qui a bien posé les données du problème qui nous occupe, celui de l'opposition entre la vision des choses que se faisait Robespierre et celle qu'avaient d'autres représentants de la Révolution. On connaît le mot de Vergniaud : "La Révolution est comme Saturne : elle dévore ses propres enfants". C'est bien là le drame des Révolutions, c'est qu'elles ne peuvent se faire pacifiquement, c'est que des gens sont prêts à tuer pour imposer leurs vues et d'autres à faire verser le sang pour défendre leurs biens et leurs privilèges jamais abandonnés.
En tombant, Robespierre a été victime de gens qui n'avaient pas moins que lui de sang sur les mains, car ce n'étaient pas des purs les Fouché, les Collot d'Herbois, les Vadier, les Tallien, les Barras et autres consorts. Quand Robespierre demandait compte à certains d'entre eux des crimes collectifs qu'ils avaient commis en province, on comprend bien qu'ils se sentaient menacés par cet homme qui disait que des têtes allaient bientôt tomber sans dire lesquelles et qui s'arrangèrent pour laisser croire aux députés du Marais ou de la Plaine à la Convention que c'étaient eux que Robespierre visait afin de pouvoir renverser le pouvoir de l'Incorruptible et de s'acheter une bonne conscience auprès des modérés en faisant cause commune avec eux.
La Révolution allait s'arrêter là et végéter avec des Barras et des Sieyès, jusqu'à ce qu'elle eût besoin d'une épée pour défendre ce sur quoi elle avait bâti et ce sur quoi elle voulait capitaliser : le droit inaliénable de propriété, la liberté d'entreprendre et pour calmer les ardeurs des mécontents la liberté de penser, qui ne renverse les bastilles de la bourgeoisie que virtuellement par des mots, mais qui ne peut aller plus loin, car la limite est définie et s'appelle défense et maintien de l'ordre.
Voilà tout ce que ne dit pas Laurent Dingli.
Bon, n'exagérons pas, son livre a le mérite de montrer qu'il n'est pas sage de faire des révolutions sanguinaires et de laisser aux commandes des hommes qui ont soif de sang. On n'a jamais rien réglé par la violence et il faut se méfier des discours de haine. Toujours.
Le bilan que l'on fait de toute cette période, de cette tourmente révolutionnaire doit définitivement intégrer cette chose-là, et qu'il y eut bien des crimes commis au nom de la liberté. Et que personne n'y a gagné.
François Sarindar

Francois Sarindar - - 66 ans - 29 mai 2013