Célébration du quotidien
de Colette Nys-Mazure

critiqué par Lucien, le 3 mars 2002
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Dans l'espérance du Royaume.
Selon Michel Tournier, il est deux grandes catégories d'écrivains : ceux de la célébration et ceux du dénigrement. Colette Nys-Mazure a choisi la célébration. A choisi, ou a été choisie ? Pourquoi, toute petite, était-elle déjà qualifiée d' «enthousiaste» par un professeur – cet adjectif qui, elle l’apprendra plus tard, signifie «être habité par un Dieu» ? Choisissons-nous, ou sommes-nous choisis ? Elle a choisi son nom de plume, en tout cas. Cette trinité du prénom et du double nom. La femme, Colette & elle tient d'une autre Colette le regard ébloui sur les petites choses de la maison, de la nature, et la fraîcheur précise du langage & puis les noms des deux hommes : Mazure, le père, disparu alors que la petite fille atteignait «l'âge de raison», disparu la même année que la maman, transformant trois enfants en orphelins et l’aînée, Colette, en petite mère pour les deux autres ; et puis Nys, «ce gamin avec qui je jouais sur la plage de La Panne», dit-elle, le compagnon de toute une vie, le père de ses cinq enfants. Mazure, la maison ; Nys, pourquoi pas le nid. La vie de Colette Nys-Mazure s’ancre dans le quotidien des murs familiers comme dans l’amour des êtres qui l’accompagnent, par la chair ou par l’esprit.
Lorsqu’elle publie chez Desclée de Brouwer, en 1997, sa «célébration du quotidien», Colette Nys-Mazure ignore qu’elle met au monde un «best-seller» : quarante mille exemplaires vendus à ce jour. Elle l'ignore car elle ne l’a pas cherché, poursuivant avec ténacité (ténacité et tenue, deux noms de la famille de «tenir» qui constituent pour elle de constantes références) une oeuvre partagée entre la poésie, la narration brève et la réflexion philosophique ou religieuse. Pas vraiment des concessions aux modes du temps. Poésie, narration et description, recherche spirituelle : ces trois voies, ces trois voix s'entrelacent dans ce beau livre au format oblong, à la couverture crème striée de sillons sinueux comme ceux des empreintes digitales. Une sorte de litanie jamais ennuyeuse dont le fil conducteur est constitué de trois mots : «Je vous écris». Et puis une quinzaine de variations sur ce thème, quinze lettres qu'elle nous envoie pour partager avec nous «deux ou trois choses qui me tiennent à cœur», faute peut-être d'encore pouvoir les dire à l'amie de toujours, Elisabeth, qui, magnifique, se prépare en luttant à mourir. Le cancer aura raison du corps, pas du cœur. «Je vous écris»… d'ici et de maintenant ; d’une cuisine ; d’une vie de femme ; du silence ; au bord de la nuit ; de la patrie des livres. «De la patrie des livres» : a-t-on jamais mieux parlé de la lecture ? Cédons-lui un instant la parole : «Pour la cérémonie de la lecture, j'aime le rituel : lampe bien orientée, coussins moelleux, feu douillet, présence tendre, silence et paix du coeur. Mais je peux tout aussi bien me contenter d'une paillasse et d'une lampe de poche qui ne troublera pas le sommeil de la chambrée. Adossée au mur de la gare tonitruante, la valise entre les pieds, ou chatouillée par les hautes herbes au bord de l'eau, je lis et le bruit des pages tournées, le bruissement de la langue délivrent la même ivresse.
Je lis, je me délie de tout ce qui entravait mon essor. Je lis, je me relie à tous ceux qui ont connu ce texte et à ceux qui le découvriront après moi, autant qu'à l'écrivain qui nous l'a confié. Je renoue avec mon moi le plus intime, celui de l'enfance, comme je pose les jalons de demain. Je nidifie et j'édifie.
Je lis. Je pallie les limites dérisoires de ma petite vie. Par auteurs, par héros interposés, j'expérimente mille formes d'existence, je me démultiplie. J'approfondis. Je comprends la folie d'un autre. Je pénètre dans des milieux qui me resteront toujours étrangers ou fermés. Rien ne m'est impossible. Je lis. Lire c'est délirer.
Je lis. Je relis les classiques, je les rafraîchis au contact de ma sensibilité actuelle. J'élis et j'abolis le temps aussi bien que l'espace : il n'est terre ni époque ni âge qui me soit inaccessible.
Je lis-j'écris. J'écris en marge des lignes mon propre livre. Avec Tournier, je peux affirmer que tout livre a toujours deux auteurs : celui qui l'écrit et celui qui le lit.
Ce livre, je le raconterai aux enfants en faisant une énorme vaisselle, au cours d'un voyage en voiture ou dans une salle d'attente. Je le déconstruirai et je le recomposerai, image après image, séquences télescopées ; comme jadis dans nos interminables conciliabules fraternels, nichés à l'étroit d'une vieille cage à lapins au fond du jardin.
Je lis, je jouis. Je me réjouis dans la jubilation des réseaux de sens. Je m'étonne et m'émerveille. Je vais de surprise en surprise et je reconnais. Déjà je pense à celui à qui je prêterai le livre. A moins que je l'abandonne sur la banquette du train ou la chaise du square, en espérant qu'il trouve un lecteur enthousiaste, ravi de l'aubaine. »
J'abandonne ici le beau livre de Colette Nys-Mazure, qui célèbre le quotidien plutôt que de le dénigrer. Il vous reste à faire vivre à votre tour, avec enthousiasme, cette leçon d'espérance.
Une leçon de vie 8 étoiles

Née à Wavre en 1939, Colette Nys-Mazure a été pendant très longtemps professeur de français dans le Tournaisis. Son premier recueil, "La vie à foison", a été publié en 1975. Elle a ensuite écrit de nombreux poèmes, pièces de théâtre, essais et nouvelles. Son oeuvre a été récompensée par plusieurs prix littéraires.

Colette Nys-Mazure explique son objectif dès les premières pages : "Nous ne nous étonnons pas assez, nous ne nous émerveillons qu'occasionnellement. Histoire d'éveil et question d'usure. Alors, pour moi comme pour vous, j'ai entrepris une célébration de ce quotidien décrié, ignoré, délaissé". Elle dédie son livre à son amie Elisabeth qui est gravement malade, mais qui est présente à chaque chapitre et donne encore plus de sens au titre du livre.

Que ce soit dans une cuisine, une gare ou un balcon, Colette Nys-Mazure nous incite à profiter du moment présent, sans trop penser au passé ou au futur : "Pendant ce temps-là, ne néglige-t-on pas de vivre ce qui est donné ici et maintenant, d'aménager l'immédiat? A coup sûr, la meilleure façon de se préparer à égrener demain d'autres regrets".

Colette nous parle aussi de ses réflexions sur le rôle de femme-épouse-mère et conseille : "Enfant, tu n'aurais pu vivre si je t'avais étouffé sous ma demande, si je t'avais voulu en accord avec mon désir plutôt qu'avec le tien. Pour ne pas peser sur toi de tout mon amour, il me fallait exister pour mon compte, rester la femme de ton père autant que ta mère". Mais elle évoque aussi la nostalgie quand les enfants grandissent : "Ai-je assez pleuré en allant d'une chambre désertée à l'autre, en me répétant que c'était fini le temps des nourrissons, des lits pleins, des souffles cueillis sur les bouches entrouvertes, des mots échappés au sommeil. Le temps où la vie est justifiée par le seul fait d'élever ces petits qu'on a choisis de mettre au monde, d'avoir à leur donner des racines et leur ouvrir les ailes". Puis viennent les petits-enfants... Colette nous incite aussi à apprivoiser la solitude et à se réserver des moments juste pour nous-mêmes. La religion est également très présente dans sa vie.

Dans les derniers chapitres, elle revient sur la disparition de ses parents lorsqu'elle avait sept ans qui a influencé toute sa vie et lui permet d'apprécier toutes les petites joies du quotidien : "Chaque matin, je m'étonne et je me réjouis d'être en vie ; je ne m'y habitue pas. J'ai appris aussi combien on pouvait compter sur l'amour des proches : ceux-là qui nous ont élevés comme leurs propres enfants avec une tendresse sans calcul. Ils nous ont prouvé que rien n'est jamais fini et que l'amour est vraiment plus fort que la mort". En conclusion,
"Célébration du quotidien" est comme tous les autres ouvrages de Colette Nys-Mazure : une leçon de vie, d'espérance et d'humanisme...

VLEROY - - 45 ans - 17 juillet 2008