Paula T. une femme allemande
de Christoph Hein

critiqué par Jlc, le 30 septembre 2010
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Identité d'une femme
Voilà un des plus admirables portraits de femme que la littérature nous ait donné récemment.
Christophe Hein, dont la bibliographie est riche de remarquables romans, signe avec « Paula T, une femme allemande » un de ses meilleurs livres.

Il met tout de suite en scène, et de superbe façon, les éléments clé de cette histoire. Paula Trousseau, artiste peintre allemande, s’est suicidée dans « un bras ensablé de la Loire ». Elle a préparé son suicide, rangé ses toiles, laissé une lettre à son fils, désigné exécuteur testamentaire de son œuvre Sébastien, un ami perdu de vue depuis très longtemps, écrit un manuscrit destiné à sa fille qui a retourné le paquet sans l’ouvrir. Hein ouvre ce paquet avec nous.

Paula commence à raconter son histoire, celle d’une femme qui ne se remettra jamais de son enfance, dans une Allemagne de l’Est monotone et conformiste, entre un père caractériel lâche et borné, une mère humiliée dépressive et alcoolique, sans parler d’un frère handicapé par un accident du travail et qui sombre lui aussi dans l’ivrognerie ou d’une sœur que la petite Paula suit partout, trop craintive pour rentrer seule à la maison. De cette enfance « volée », naitra une femme déterminée, fière, intransigeante, indépendante, distante voire arrogante parfois dont elle dit pourtant : « J’aurais aimé être une fille quelconque, pas jolie, pas douée et surtout sans rêves. » De l’adolescence on retient une amitié avec Kathy qui la soutiendra tout au long de sa vie et lui fera découvrir des sensations inattendues, la perte glauque d’une virginité sans importance, son seul amour, Sébastien qui lui apportera « le vrai bonheur aspiré depuis l’enfance » mais la quitte bien vite pour une autre, provoquant anorexie et taillade de ses poignets. Elle est portant avide de vivre mais est-elle capable d’assumer sa vie, comme le lui suggère un de ses professeurs ?

Christoph Hein enrichit cette confession en y introduisant en contre point des scènes d’enfance. Ce procédé un peu surprenant au début « fonctionne » parfaitement.

Paula a dix-neuf ans et fréquente Hans Trousseau, un garçon de trente-deux ans, sûr de lui et qui lui plait bien. Il lui apportera la sécurité matérielle et l’éloignement de ses parents mais elle n’en aime ni sa vanité ni sa volonté de la mettre sous sa tutelle. « Même lorsque je me rebellais, j’aimais être avec un homme qui se comportait avec une telle assurance ». Il veut l’épouser mais elle entend d’abord tenter de rentrer à l’Ecole des Beaux-Arts de Berlin. Et cette fois ci elle ne cède pas et plus important encore elle ne s’excuse pas. « Pour moi peindre est plus important que le mariage et l’amour ». Elle sera admise, consent au mariage, « une foire aux bestiaux », et se prépare à aller vivre à Berlin. Pour l’en empêcher Hans qui reste à Leipzig réalise un viol médicamenteux et espère ainsi la retenir à la maison. Enceinte, elle garde l’enfant et part avec sa fille à Berlin. Le couple ne s’en relèvera pas et Paula ira une fois encore au bout de sa logique en acceptant de payer le prix fort d’un certain égoïsme.

Elle s’épanouit dans sa nouvelle vie tout en gardant ses distances. Son talent se précise non sans rébellion quand ses professeurs la soupçonnent d’utiliser l’art comme un substitut de vie. En fait Paula a décidé de ne plus aimer pour « éviter de souffrir par la suite » même si, dit-elle, « les hommes me plaisent, avec leur brutalité, leur égoïsme affiché, leur désir sans équivoque et… je méprise les hommes qui quémandent la pitié ». Elle rejette « les compagnons de confiance », trop nounours et dont la gentillesse l’exaspère et leur préfère des « mecs ». Mais il y a aussi chez elle, une attente, une nostalgie que peut-être seules des femmes peuvent déceler et reconnaitre. Ainsi sera-t-elle submergée par la tendresse de deux amies, Kathy puis Sybille, qui lui révèlent une sensualité qui la perturbe, la surprend et surtout l’adoucit.

Paula, non sans opportunisme, devient la maitresse d’un professeur des Beaux-Arts beaucoup plus âgé qu’elle et grâce à qui elle va profiter des avantages de la nomenklatura réservés à ceux qui servent le régime de l’Allemagne de l’Est mais aussi le moquent et surtout en profitent. Christoph Hein décrit avec ironie et un humour cinglant ce microcosme où les petits arrangements entre amis sont souvent gâchés par les passages à l’Ouest de collègues plus courageux et qui ne sont jamais sans conséquences pour ceux qui restent. Paula va vite s’y trouver mal à l’aise et notamment quand elle veut exposer un paysage abstrait qui met en colère et effraye son amant. S’éloigner du « réalisme socialiste », c’est se condamner au même sort qu’un collègue tenté par l’expérience et qui « dut passer toute une année sur des chantiers pour que la classe ouvrière le libère de sa décadence » !! Paula qui a du céder se sent humiliée par un homme qui dit vouloir l’aider. Elle refuse d'être "éduquée" alors que c'est la marque politique du pays où elle vit. Elle reprend son indépendance quitte à en subir les conséquences financières, statutaires qui vont l’obliger à accepter des commandes, notamment dans l’illustration de livres et de journaux d’entreprise dont la teneur doit être « estivale et joyeuse ». La réalité quotidienne est parfois bien loin de l’idéal artistique !

Cette femme, belle et altière, reconnait que la peinture est un moyen de se sauver elle-même. Mais jusqu’où et jusqu’à quand ? La suite est inéluctable et implacable et bien qu’on en sache tout de suite la fin, Christoph Hein maîtrise parfaitement son récit qu’on lit avec un intérêt constant et un plaisir immense.

J’ai aimé ce livre qui peint le portrait d’une femme moderne, loin de tout angélisme, de tout féminisme provocateur, sachant en montrer les contradictions, les impératifs, les duretés et aussi le courage farouche, la beauté lumineuse et la dignité absolue avant que la fatigue et la solitude ne l’emportent. J’ai apprécié le style sans brio qui permet au lecteur de pénétrer au plus profond de cette histoire et de cette femme sans se laisser distraire par des afféteries. J’ai aimé ce livre pour sa réflexion sur le travail de l’artiste entre rêves de reconnaissance et travaux alimentaires. J’ai été admiratif de la façon dont un homme sait imaginer le vertige des sens de deux femmes qui se donnent. J’ai enfin aimé ce livre pour la description de cette « nomenkultura » qui accepte la mainmise du politique sur le culturel, ce que Hein traduit en une satire cruelle mais nécessaire de ce régime politique dont l’auteur qui a refusé de « passer à l’Ouest » a vécu l’absurdité en gardant sa dignité d’artiste.

Ce roman est dédié à Paula T c’est-à-dire probablement à toutes les femmes.
UN SECRET DE FAMILLE 8 étoiles

Le titre du roman de Christoph Hein est éponyme de celui du film de Fassbinder, Lola une femme allemande. Paula Trousseau, c’est son nom, est une femme qui tombe très tôt victime de l’autoritarisme familial, en proie à un père épouvantable, violent qui ne laisse guère la voix au chapitre dans le cadre étouffant du giron familial. Elle perçoit, très vite, les pires inconvénients du mariage et entrevoit ses conséquences comme un abandon, comme l'entrée dans une prison dont les clés ne se rouvriront pas de sitôt : « Avec le mariage, j’allais être à nouveau enfermée dans une maison et la seule chose que je serais en droit d’espérer serait le quotidien de la vie conjugale, les enfants, et pour finir la vieillesse et la mort. » Très rapidement, un impératif s’impose aux yeux de Paula : devenir peintre. Ce projet pour elle, c’est se libérer de Hans, son fiancé, de ses parents, de leur influence, devenir un être autonome.
Pour cela, elle passe le concours de l’Ecole des Beaux-arts et s’installe à Berlin, où elle rencontre un monde nouveau, celui des artistes, des élèves de l’Ecole, et qui lui ouvre de nouvelles perspectives. Ainsi éprouve-t-elle la sensation d’être, au moins l’espace de quelques dizaines de minutes, le centre d’intérêt principal ; elle pose nue pour un professeur, Tschäkel, qui lui témoigne des sentiments peu ambigus. Elle rencontre une amie Sybille, épouse d’un homme en vue, Marco Pariani. Ces fréquentations sont pour Paula Trousseau l’occasion de réfléchir à ses orientations sexuelles et affectives : est-elle homosexuelle ? Sans nier l’attirance quelle éprouve pour Sybille et Katharina, une autre amie, sentiments transformés en liaison charnelle avec ces deux femmes, Paula ne bascule pas pour autant vers un choix définitif. Ces mœurs, elle les pratique au nom de la liberté de choisir, au nom de la volonté de s'accomplir. Simone de Beauvoir n'aurait pas renié cette ligne de conduite.
C’est toujours ce désir d’émancipation qui entraîne Paula vers une relation amoureuse avec Wadlschmidt, un des professeurs de l’Ecole, beaucoup plus âgé qu’elle mais qui lui donne l’occasion de s’affirmer comme femme et comme artiste : « Waldschmidt était ravi lorsque je me défendais, lorsque je faisais preuve d’assurance. Il aimait les femmes fortes, cela me plaisait( …) Mon père et Hans voulaient toujours être les maîtres auxquels je devais me soumettre. Waldschmidt était le premier homme avec lequel je me sentais bien, c’était un partenaire, si bien que je croyais pouvoir l’aimer. »
Paula Trousseau, femme allemande, est bientôt en butte à l’orthodoxie du régime de la RDA, tenant du réalisme socialiste. Elle persévère, renonce aussi à la maternité en laissant la garde de sa fille à Hans, resté à Leipzig, mais finit, au prix fort, par atteindre son idéal de jeunesse : la libre disposition de son destin et de son corps. Le roman de Christoph Hein, très actuel mais s’inscrivant dans le contexte du milieu artistique est-allemand, se déroule comme une fresque en plusieurs parties qui décrirait la volonté d’émancipation d’une femme : Paula T.

TRIEB - BOULOGNE-BILLANCOURT - 72 ans - 20 octobre 2016