Exterminez toutes ces brutes !
de Sven Lindqvist, Alain Gnaedig (Traduction), Patrick de Saint-Exupéry (Préface)

critiqué par Oburoni, le 16 septembre 2010
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
De Leopold II à Auschwitz
Sven Lindqvist, auteur suédois, livre ici un essai original et remarquable qui place dans une nouvelle perspective l'idée de génocide.

Mi-récit de voyage mi-livre historique, il parcours en fait le Sahara en bus, muni de son seul ordinateur portable et guidé par "exterminez toutes ces brutes !", la dernière phrase du roman "Au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad. Ce "exterminez toutes ces brutes !", phrase choc, est en effet pour lui bien plus qu'un résumé brutalement énoncé des politiques coloniales, il est le fondement de tout un mode de pensée qui rendra possibles les génocides du XXeme siècle, dont celui des Juifs par les Nazis.

Sans dénier le caractère unique de la Shoah (une extermination menée de manière industrielle), il s'attarde en fait à montrer qu'un tel massacre de tout un peuple n'aurait jamais été possible si le colonialisme n'avait pas préparé les esprits, et donc facilité son application.

"L'expansion européenne à travers le monde, accompagnée comme elle le fut d'une fière défense de l'extermination, créa des habitudes de pensée et des précédents politiques qui pavèrent le chemin pour de nouveaux outrages, culminant finalement dans le plus horrible de tous : l'Holocauste."

Pour illustrer son propos, parcourant le désert Nord Africain il s'attarde particulièrement sur des exemples africains.
Il revient, bien sûr, sur les comportements abjects auxquels se sont livrés les européens ( du roi Ashanti Prempeh forcé à embrasser les bottes d'officiers britanniques aux pillages et incendies de villages entiers à travers tout le continent ); il montre surtout que lorsque ces comportements se télescopèrent avec les théories scientifiques racistes alors en plein essor -les travaux d'un Robert Knox, par exemple, plus tard servis par ceux de Darwin ( eux largement détournés )- l'idée d'extermination au nom d'une "sélection", donc de génocide, se banalisa. C'est alors en effet que l'impérialisme devint "un processus biologique nécessaire qui mène inévitablement, d'après les lois de la nature, à la destruction des races inférieures". Le traitement réservé aux Héréros en Afrique du Sud ou encore les atrocités perpétrées au Congo sous l'égide du roi belge Léopold II témoignent de cette banalisation.

La Shoah, dès lors, ne doit pas nous surprendre. Unique parce qu'elle se produisit de manière industrielle, l'état d'esprit qui y aboutit, toutefois, fermentait depuis bien longtemps; la destruction des "peuples inférieurs" étant considérée comme un processus normal dans la plupart des esprits.

"Auschwitz fut l'application industrielle moderne d'une politique d'extermination sur laquelle la domination du monde par les européens reposait depuis longtemps."

En somme, l'idée de génocide n'apparait pas d'un coup avec les Nazis; elle nous vient tout droit de l'ère coloniale tout aussi raciste et violente dont l'auteur montre ici la continuité historique. Une thèse intéressante, qui ne manquera pas d'interpeller.