Les Terrasses d'Orsol
de Mohammed Dib

critiqué par FranBlan, le 24 avril 2010
(Montréal, Québec - 81 ans)


La note:  étoiles
Fascination, envoûtement, frustration...
A la dernière page de ce roman, Eid, le héros a tout oublié. Et d'abord il a oublié son nom. Il a été envoyé à l'étranger, en mission par son gouvernement. Il l'a oublié aussi. Et oublié pourquoi. Il a, dans l'opulente ville, nommée Jarbher, où il est chargé d'exercer ses activités, surpris un secret, un terrible secret. Il l'a oublié. Et oublié qu'on le paie, et qu'il a chèrement payé pour cela. Oublié qu'il a dans cette même ville rencontré une femme extraordinaire et oublié toute l'aventure, extraordinaire, elle aussi. Il a tout oublié. Oublié jusqu'à l'exil où désormais il vit sans mémoire. Lui-même, son pays semble l'avoir oublié, là. Il se souvient juste d'un titre de film et d'un prénom féminin. Tout à la fin. Qu'est-il arrivé à cet homme ? (Quatrième de couverture d'une édition antérieure...)

Dès les premières lignes, je suis rassurée par l'écriture simple et fluide, mon assurance est éphémère; je découvre presque du même coup un propos obscur, abstrait, tout à fait mystérieux...
Je persiste; le lyrisme de l'auteur de par sa qualité est tour à tour fascinant, envoûtant, même s'il ne dévoile que très peu où il nous entraîne... et tout à fait à mon insu je suis entièrement happée dans une forme de suspense, le même en fait que le narrateur, je désire autant que lui connaître la nature de cette fosse d'horreurs dont il fait la découverte et qui l'obsède... et ce, à mi-lecture du livre, qui soit dit en passant, j'ai lu tout d'une traite en une après-midi...
L'entreprise d'Eïd n'est pas tant de découvrir le secret, puisque la fosse est une évidence incontournable et non cachée, mais de lui donner un nom. De ses interlocuteurs jarbherois qui évitent de lui répondre, Eïd ne cherche pas tant à apprendre la chose, qu'il connaît, qu'à les amener à lui donner un nom en l'identifiant.
L'identification elle-même n'est qu'un prétexte, puisqu'on verra qu'Eïd a compris comme nous, dès le début, que ce sont des hommes qui se meuvent lentement dans cette fosse...
Lorsque je reprends ma lecture, la narration s'égare complètement de tout propos rationnel, celle-ci, jusqu'à la fin du livre, nage en plein surréalisme qui me devient dès lors totalement inaccessible.
Par delà le réalisme auquel je semble désirer vouloir réduire l'écriture de l'auteur, j'aimerais au moins être capable de communier, fut-ce minimalement, au sens de cette écriture, si belle soit-elle...
Kafka maghrébin ? 6 étoiles

Comment dit-on nuit et brouillard en algérien ? Comment dit-on mauvais rêve et perdition ? S’il y avait des clés pour interpréter ces « Terrasses d’Orsol », je les cherche encore désespérément ! Des clés – ou une au moins – il doit bien en avoir , sinon … ? On nage dans ce roman en plein onirisme brouillardeux, ou cauchemar comateux, comme on voudra. Pas de début, pas de fin, rien pour se repérer ou à quoi se raccrocher.
« Je venais à peine de faire quelques pas là-dedans, je n’avais accompli que ces quelques pas, et il m’a sauté dessus avec une force et une soudaineté à en demeurer étourdi, le silence qui y plane, y règne. Je l’avais oublié, ce silence. Il émerge de terre comme émergerait une source au beau milieu d’un salon si une incongruité de ce genre avait jamais la chance de se produire. Et j’ai marché dans cet écheveau de couloirs entortillés, j’en ai sondé, exploré les profondeurs, je ne pourrais pas dire combien de rues, de défilés, j’avançais dans un sens et aussitôt j’avais l’impression de me tromper, j’allais dans l’autre, et j’avais encore l’impression de me tromper. Des impasses, des impasses, partout. J’avais le sentiment en fait de me perdre, de sombrer surtout dans leur silence qui allait s’enflant, augmentant et occulte hissait autour de moi ses nappes secrètes, unies. Ses nappes à l’équilibre parfait. »

Soit un individu, Ed, Eid ( ?), de Orsol – ville, pays ? – envoyé par son pays comme en mission d’informations à Jarbher, pour en faire remonter des rapports sur – la ville, le pays ? Ce Ed est obsédé tout au long du roman, qui décrit un laps de temps qu’on ne saurait estimer, par un spectacle qui le laisse coi et en état de sidération. En bord de mer, du haut d’une terrasse, au bord de ce qui est décrit comme une fosse et qui pourrait n’être que des rochers à marée basse, il voit, ou croit voir, des êtres à la quasi-immobilité hypnotisante, monstrueux, décrits alternativement comme des reptiles, des pachydermes, qu’on pourrait imaginer comme morses ou iguanes.
Lui seul – mais il n’en est pas sûr, semblerait les voir, être conscient de leur présence. Et ceci constitue comme un secret, un secret d’état, l’obsession de ses jours et ses nuits. Il semble avoir conscience que se joue là, le concernant, sa vie ou au moins sa liberté.
Restera à la fin une femme, qui ne semble être ni sa femme ni sa fille, restées au pays (décidément chez Dib, les hommes quittent fréquemment femmes et filles, cf « L’infante maure » !), (mais Jarbher et Orsol ne sont-ils pas en fait le même pays ?), et qui semblera son seul lien avec la vie, avec la raison. Une raison dont on peut légitimement douter au final.
Les amateurs d’onirisme y trouveront peut-être leur compte. Pour ma part, j’ai besoin d’un minimum de points d’accroche qui m’ont singulièrement manqué. L’impression d’avoir traversé ce roman comme on traverserait une ville inconnue plongée dans un brouillard et sans but ni raison.

Tistou - - 67 ans - 11 juin 2010