Une histoire américaine : Frank Sinatra, Dean Martin, Sammy Davis Jr, Joey Bishop, Peter Lawford
de Georges Ayache

critiqué par Numanuma, le 24 mars 2010
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
Rats des villes d'or et d'argent
Il existe une expression qui synthétise admirablement la façon dont l’Amérique se considère : larger than life. On peut aisément convenir que, parmi les multiples incarnations de cette expression, le Rat Pack est l’une des plus convaincantes et des plus explicites, et c’est encore plus parlant dans le cas de son charismatique leader : Franck Sinatra.
Or, ce livre, Une Histoire américaine, malgré son ambition de raconter les glorieuses années cinquante américaines au travers du prisme du show business, de la mafia et de la politique, n’est pas larger than life et c’est bien dommage…
Un petit détour historique d’abord : le Rat Pack regroupe les meilleurs artistes de leur temps mais ce n’est pas vraiment cela qui compte. Ce qui compte, c’est que ces gaillards ont faim de tout, de gloire, de cigares, de filles faciles, de whisky, d’argent et plus que tout, de reconnaissance. C’est cette faim qui regroupe Frank Sinatra , Judy Garland, Lauren Bacall, Sid Luft, Humphrey Bogart, Swifty Lazar, Nathaniel Benchley, David Niven, Katharine Hepburn, Spencer Tracy, George Cukor, Michael Romanoff et Jimmy Van Heusen. Sammy Davis Jr et Dean Martin ne faisaient initialement pas partie du Rat Pack. Il s’agit du Rat pack des origines dont Humphrey Bogart est le véritable pilier
Le Rat Pack « classique », celui des années 60, regroupe Sinatra, à qui la mort de Bogart a donné le pouvoir, Dean Martin, d’origine italienne comme Sinatra, Sammy Davis Jr (noir de naissance, juif par conversion et borgne par accident), Joey Bishop (comparse discret) et Peter Lawford (futur beau-frère de JFK). Si les trois premiers noms sont très connus, les deux autres le sont beaucoup moins, je m’étonne encore, après lecture, que deux artistes aussi peu charismatiques aient pu intégrer le cercle de Sinatra tant la carrure de celui-ci écrase celle des autres.
En fait, le terme artiste ne convient pas car, outre le fait qu’il implique une part de création, il ne sous-entend pas la part de divertissement qui caractérise le show business et que les anglo-saxons nomment Entertainment. Chanson, cinéma, télévision, music hall, les membres du Pack sont des virtuoses de l’improvisation dont les noms évoquent pour leurs employeurs des liasses de dollars et des clients prêts à revenir.
Oui, le Rat Pack est une machine à fric parfaitement huilée et menée par un Sinatra sûr de lui qui fricote aussi bien avec les grands patrons de studios d’Hollywood que les patrons de casinos de Las Vegas, avec les grands maffieux et les milieux politiques. Sinatra soutiendra Kennedy grâce à ses accointances avec la mafia. Des mondes antagonistes se rejoignent parfois dans les salons privés des casinos de Las Vegas. Ce qui arrive à Vegas reste à Vegas…
Le livre est intéressant de bout en bout mais devient vraiment passionnant dès lors que l’auteur aborde l’entrée en lice des Kennedy dans la course aux élections présidentielles, c’est le chapitre « Camelot ».
C’est la grande force de cet ouvrage que d’avoir su passer outre les images un peu trop belles du président JFK. La famille Kennedy est loin d’être angélique et le patriarche, Joe Kennedy, n’a rien d’un gentil papi qui regarde sa famille grandir dans la satisfaction du devoir accompli. C’est lui qui fait appel aux contacts de Sinatra avec les familles italiennes afin de soutenir la candidature du fiston dans les urnes. C’est lui qui arrose afin de garder secrètes les escapades sexuelles frénétiques du futur président ; JFK est loin du gendre idéal même si c’est l’image qu’il veillera à donner en tant qu’élu.
Mais ce qui surprend le plus le lecteur, c’est la vision du monde qu’a la famille Kennedy : il y a eux et il y a les autres et il ne fait pas bon être parmi les autres même quand on s’appelle Franck Sinatra et qu’on a mouillé la chemise. Sinatra ne se relèvera pas de cette déception ; il ira jusqu’à changer de camps et voter Nixon !
J’ai dis en introduction que ce livre n’est pas larger than life et cela mérite explication. Malgré tout son intérêt et malgré une écriture agréable encore facilitée par la présence de nombreux dialogues en lieux et places de résumés qui auraient pu être indigestes, malgré l’utilisation de surnoms afin de ne pas tomber dans un name dropping vite agaçant, il manque un souffle à l’ensemble.
L’auteur, Georges Ayache, est un historien. Son travail est sérieux, plaisant, instructif, parfois passionnant mais il lui manque cette lueur particulière aux romanciers capable de rendre épique la vie des ces artistes hors du commun. Tel n’était pas le propos de l’auteur, je peux le comprendre mais alors, pourquoi si court ? Vite, un ouvrage pour chacun des membres du Rat Pack et une biographie de JFK !