Le Peuple d'en bas
de Jack London

critiqué par Chene, le 24 février 2010
(Tours - 53 ans)


La note:  étoiles
Un monde terrifiant mais néanmoins réel
En 1902, à l’époque Victorienne, Jack London, déguisé en clochard, pénètre dans les bas quartiers de Londres pendant trois mois. Notamment le quartier de White Chapel où a sévi le célèbre « Jack l’éventreur » en 1888. Il en retirera un livre mondialement célèbre « The People of the Abyss » traduit en français par « le peuple d’en bas »
La " descente " (titre du premier chapitre du livre) commence comme un reportage dans les couches sociales les plus basses de Londres. C'est une expérience personnelle, un documentaire sur un monde de miséreux que personne ne voit. Une immersion dans les entrailles de la misère.
Une fois parmi les vagabonds, Jack London nous révèle au grand jour une société nouvelle. Celle des oubliés de la révolution industrielle. Ou plutôt celle que la révolution industrielle produit et laisse définitivement tapie dans l’ombre. Un monde de clochards, de familles dans des appartements miteux et surpeuplés, de gens dans une crasse noire. Il décrit les immondices, la nourriture dans les poubelles, les salaires ridicules, les asiles de nuit, la faim, la rue, la mort, les enfants mal nourris, le manque d’hygiène, l’absence de secours…
Pour se faufiler à travers ce peuple d’en bas, Jack London change d’apparence (en cela Jack London est novateur. Plus tard d’autres imiteront son exemple) :
" A peine avais-je fait quelques pas dans la rue que je fus impressionné par le changement complet produit par mes nouveaux vêtements sur ma condition sociale. (...) En un clin d'œil, pour ainsi dire, j'étais devenu l'un d'entre eux.
Et s’ouvre à lui, un monde stupéfiant :
" Les rues grouillaient d'une race de gens complètement nouvelle et différente, nabots d'aspects miteux, la plupart ivres de bière. "
Tel un reporter moderne, Jack London signe ici un témoignage frappant, sombre et terrifiant sur la condition humaine et la condition sociale du début du XXe siècle dans la ville de Londres. A travers cette quasi étude sociologique qui se dévore comme un roman, Jack London nous fait prendre conscience des conditions de vie de toute une population d’oubliés à l’époque Victorienne, au temps où, pourtant, l’Angleterre dominait le monde.
Un livre à rapprocher de "dans la dèche à Paris et à Londres" de George Orwell.
En Bas ! 8 étoiles

Le peuple d'en bas ou le peuple de l'abime (selon les éditions) fut publié en 1903 sous le titre original « The people of the abyss »
Londres est alors probablement la plus grande ville du monde avec ses 7 millions d'habitants. Il y fait sale (sauf dans les beaux quartiers) et l'air est saturé. Le fog londonien n'est sans doute qu'un mot gentil pour parler de la nappe nauséabonde des suies de charbon en suspension.
L'est de la ville est un ghetto où se terrent 2 millions de travailleurs sous payés... le reste sont ceux que le travail a oublié et qui vivent dans un dénuement complet. Les « sans-rien », ceux qu'on nomme maintenant les SDF ! La loi leur interdit de dormir la nuit dehors, et les toby's veillent au respect de la règle à coups de matraque. Ce sont donc des fantômes épuisés et affamés qui zigzaguent entre les gouttes pour débusquer quelques miettes.

Jack London écrit : « J'ai vu cette espèce de bave visqueuse qui englue le pavé nocturne. J'ai vu ce déferlement sans nom de saletés misérables qui laissent loin derrière elle toute l'horreur de la nuit qu'on peut éprouver à Piccadilly ou sur le Strand. La nuit l'East End ressemble à une ménagerie de bipèdes habillés, qui tiennent plus de la bête que de l'homme. Pour achever le tableau, des gardiens en uniforme à boutons dorés s'efforçaient de faire régner un semblant d'ordre.
... Les braves gens qui fréquentent les théâtres dorés et qui vivent dans des maisons de rêves, n'ont jamais vu ces créatures et ne supposent même pas qu'elles puissent exister ».


Un texte sans concession.

Monocle - tournai - 64 ans - 13 mai 2017


Terrifiant ! 9 étoiles

Préface de Jack London (1876-1916)

Les expériences que je relate dans ce volume me sont arrivées personnellement durant l’été 1902. Je suis descendu dans les bas-fonds londoniens avec le même état d’esprit que l’explorateur, bien décidé à ne croire que ce que je verrais par moi-même, plutôt que de m’en remettre aux récits de ceux qui n’avaient pas été témoins des faits qu’ils rapportaient, et de ceux qui m’avaient précédé dans mes recherches.
J’étais parti avec quelques idées très simples, qui m’ont permis de me faire une opinion : tout ce qui améliore la vie, en renforçant sa santé morale et physique, est bon pour l’individu ; tout ce qui, au contraire, tend à la détruire, est mauvais.
Le lecteur s’apercevra bien vite que c’est cette dernière catégorie (ce qui est mauvais) qui prédomine dans mon ouvrage.




Extraits :


- Ne parlons pas des germes de maladies qui flottent dans l’atmosphère londonienne ; occupons-nous seulement des fumées qui s’y trouvent en permanence. Sir William ThiseltonDyer, conservateur des jardins de Kew, a étudié cette fumée qui recouvre les plantes : selon ses calculs, il ne se dépose pas moins de six tonnes de matière solide, en particulier de la suie et des hydrocarbones goudronneux, par quart de mille carré, chaque semaine, dans Londres et dans ses faubourgs. C’est l’équivalent de vingt-quatre tonnes par semaine et par mille carré, soit mille deux cent quarante-huit tonnes par an et par mille carré. Sur la corniche au-dessous du dôme de la cathédrale St. Paul, on a récemment fait apparaître un dépôt de sulfate de chaux cristallisé. Ce dépôt s’était formé par l’action de l’acide sulfurique contenu dans l’atmosphère sur le carbonate de chaux de la pierre. C’est cet acide que respire constamment l’ouvrier londonien, tous les jours et toutes les nuits de sa pauvre vie.

- Et ainsi, bonnes gens, s’il vous arrive un jour de visiter Londres, et d’y trouver des hommes endormis sur des bancs ou sur l’herbe, ne croyez surtout pas, que ce sont là des fainéants, qui préfèrent le sommeil au travail. Sachez plutôt que les pouvoirs publics les ont obligés à marcher toute la nuit, et qu’ils n’ont pas d’autre place pour dormir pendant la journée.


- « Un coin de chambre à louer. » Cet avis avait été placardé il n’y a pas si longtemps sur une fenêtre, à cinq minutes à pied à peine de St. James Hall. Le Révérend Hugh Price Hughes sait de quoi il parle lorsqu’il écrit que les lits sont loués sur le système des trois-huit, c’est-à-dire qu’il y a trois locataires pour un seul lit, et que chacun l’occupe pendant huit heures, et que le lit est toujours chaud. Les officiers de la Santé trouvent souvent des cas semblables à ceux qui vont suivre : dans une pièce de dix mètres carrés, trois femmes adultes dans le lit, et autant sous le lit. Et dans une pièce de quinze mètres carrés, un homme et deux enfants dans le lit, et deux femmes sous le lit. Voici maintenant l’exemple parfait d’une chambre qui fonctionne sur un système de location double. Le jour, c’est une jeune femme qui l’occupe, car elle travaille la nuit dans un hôtel. À sept heures du soir, elle libère la chambre, et un maçon prend la relève. À sept heures du matin, il quitte la chambre pour se rendre à son travail, c’est l’heure à laquelle elle rentre.

Catinus - Liège - 72 ans - 30 décembre 2016


Voyage au bout de l'enfer 10 étoiles

Au cours de l’été 1902, l’écrivain Jack London descend dans les bas-fonds londoniens pour constater de visu les ravages de la pauvreté découlant de l’impitoyable société industrielle britannique. Il se déguise donc en clochard et infiltre le milieu. Il y fait des rencontres surprenantes, assiste à des scènes pathétiques, partage le quotidien miséreux des chômeurs et des déclassés que la société rejette impitoyablement. Couchant souvent à la belle étoile ou bien dans des refuges, Jack London mange l’infâme brouet servi aux soi-disant repas qu’il doit ensuite payer en durs travaux éreintants en plus de devoir assister à l’office et chanter des cantiques à la gloire du Dieu miséricordieux.

C’est ce périple qu’il narre dans ce livre terrible mais nécessaire afin de bien comprendre de quelle façon les industriels exploitaient les familles d’ouvriers en leur payant des salaires de misère. Lorsque des accidents de travail survenaient privant la famille du soutien financier de leur chef, la misère noire se pointait et la faim s’installait décimant les enfants et rendant fous les adultes. L’alcoolisme, le suicide, les infanticides, la prostitution, la dégradation mentale et physique de cette couche de la population étaient presque devenus la norme dans l’East End. Pour oublier, les hommes se réfugiaient dans l’alcool et les femmes avaient recours au trottoir pour arrondir les fins de mois.

L’auteur n’est pas tendre envers le système capitaliste et l’industrie. Il parle même d’échec complet et compare les quartiers pauvres londoniens à un champ de bataille bien plus meurtrier que celui de n’importe quelle guerre.

Extrêmement bien documenté, Jack London ne fait pas que raconter la misère, il expose des chiffres, des bilans, des articles de journaux de l’époque et fustige les autorités et le système carcéral. Il a eu le courage d’aller sur le terrain et ne s’est pas contenté de lire et de se documenter. C’est un homme admirable et d’une extrême bonté qui nous livre un témoignage vibrant de colère et de révolte devant l’enfer créé de toutes pièces par l’avarice et la cupidité du patronat et des ministres corrompus de ce beau pays qu’on nomme Angleterre.

« Que de telles hordes misérables existent, ce n’est pas une compensation pour le brasseur millionnaire qui vit dans un palace de l’ouest de Londres, se repaît de tous les délices que lui offrent les théâtres dorés de la ville, côtoie les lords et les princes et se fait anoblir par le roi. On ne lui demande même pas de faire ses preuves. Dans les anciens temps, les grands cavaliers blonds, qui fonçaient à l’avant-garde des batailles, montraient au moins leur mesure en pourfendant les hommes de la tête à l’échine. Tous comptes faits, il y avait bien plus de noblesse à tuer un ennemi solide d’un coup d’épée proprement asséné, que de le réduire à l’état de bête, lui et ses descendants, par une manipulation adroite et implacable des rouages de l’industrie et de la politique. »

Dirlandaise - Québec - 68 ans - 4 juillet 2013


A savoir 8 étoiles

Je suis heureuse de constater que ce livre a été réédité. Un livre édifiant qui donne une idée de la misère de cette époque — où va-t-on aujourd’hui ? — où la cruauté des pouvoirs publics n’a pas d’égal. Interdiction pour un sans-abri de s’assoir, encore moins de s’allonger sur un banc public.
De même que l’on nous incite à ne pas oublier les horreurs de la guerre de 40, il serait bon de prendre connaissance de ces horreurs-là… pour ne pas recommencer ?

Dranac - Lectoure - 74 ans - 6 janvier 2013


Hell East End 8 étoiles

En 1906, Jack London est envoyé en mission par un journal américain afin de couvrir la guerre des Boers en Afrique du Sud, mais lorsqu'il arrive en Angleterre il apprend que la guerre est terminée. Plutôt que de retourner aux Etats-Unis, il décide de rester sur place pour s'immerger dans les quartiers défavorisés de l'East End de Londres où s'agglutinent des légions d'ouvriers venues majoritairement des campagnes dans l'espoir de trouver un emploi dans les usines de la plus grande fabrique du monde. Affublé de la tenue typique du travailleur exploité, il parcourt sans relâche les rues de ce trou noir de l'humanité où s'entassent des familles pauvres et d'êtres errants du matin jusqu'au soir en quête d'une maigre pitance et d'un logis.

Il dévoile toute l'horreur à laquelle sont confrontés ces citoyens de seconde zone asservis à l'industrie capitaliste avide de profit. Très vite ce peuple fantomatique est épuisé par les cadences infernales, le manque de sécurité et un salaire de misère qui ne suffit pas à assurer les besoins quotidiens. Aussitôt usés aussitôt remplacés, ils n'existent pas. L'alcool devient pour la plupart leur seul échappatoire, sacrifice ultime sur l'autel de l'exploitation capitaliste.

Se retrouvant à la rue, obligés de dormir le jour parce que chassés perpétuellement par la police durant la nuit, ils errent sans cesse à la recherche d'un abri de fortune. Ils se "nourrissent" de choses abjectes trouvées dans le caniveau ou dans des poubelles. Seul refuge possible pour quelques nuits, l'armée du salut où ils sont soumis à une discipline de fer. Pour un peu d'eau et une bouillie infâme, ils doivent accomplir des corvées sous peine de ne pas pouvoir en sortir.

Pendant ce temps le Royaume-Uni prospère, première puissance mondiale, son règne est sans partage sur le monde, engrangeant de plus en plus de richesse tout en laissant germer les graines de la révolte des ventres. L'auteur y voit une décadence morale et philosophique dans cette grande nation qui demeure aveugle à la souffrance qui règne en son sein, il y voit aussi les prémices de sa chute inéluctable. La mauvaise gestion de la vie politique et économique du Royaume-Uni, par une oligarchie enivrée par la puissance et la gloire, ne peut que conduire à une destruction totale de ses fondements enracinés dans l'injustice et l'oppression.

Plongé dans la fosse commune des dépossédés, l'auteur ne s'épargne pas, il va vivre des mêmes expédients que ses compagnons d'infortune. Le froid, les refuges des sans abris et les repas immondes vont être le quotidien de Jack London, qui va en souffrir (lui qui a pourtant vécu plusieurs expériences extrêmes par le passé) au point qu'il en conclut que les Inuits sont bien mieux lotis que ces êtres pris au piège de cette civilisation avilissante.

Un magnifique plaidoyer pour la défense des individus brisés par la main invisible du profit.

Heyrike - Eure - 56 ans - 4 janvier 2013


Abysses Londoniennes 7 étoiles

Jack London était américain, mais il a pourtant décidé de dénoncer le sort d’une grande partie du peuple anglais du tout début du 20ème siècle. Plus précisément, celui de ceux qu’on appelle aujourd’hui les « SDF » ou « ceux vivant sous le seuil de pauvreté », et qui résidaient pour beaucoup à l’est de Londres, dans ce qui s’appellerait aujourd’hui des bidonvilles. Rien n’est plus facile que de se faire passer pour l’un d'eux ; quelques haillons en guise d’habit, une barbe qu’on laisse pousser, et une crasse bien installée, nous voilà un pion de cette armée de misérables. Leurs ennemis : la nuit glaciale sans abri, les microbes et bactéries, la faim qui tiraille, les enfants qui s’enchaînent. Leurs alliés : des travaux éreintants, la soupe populaire et les pseudo hospices.
Jack London s’obstine à pénétrer et déchiffrer les absurdités de la hiérarchie sociale de l’époque, qui sont toujours d’actualité. Il n’hésite pas à citer des journaux, des personnages célèbres de l’époque (politiques, écrivains), des personnes quelconques, pour illustrer le quotidien sordide de ce peuple des abysses.

Pourquoi avoir choisi ce territoire du Royaume Uni, plutôt qu’un autre ? Jack London ne répond pas à cette question. Il ne généralise pas ce qui se passe dans l’est Londonien à ce qui se passe ailleurs, en Europe ou sur tous les continents, pour tous les oubliés des révolutions industrielles. Il n’aborde pas non plus des solutions concrètes pour tirer vers le haut cette classe sociale ; tous ses espoirs semblent tournés vers le socialisme.

Elya - Savoie - 34 ans - 13 septembre 2012