Les Armées de Evelio Rosero Diago

Les Armées de Evelio Rosero Diago
( Los ejércitos)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Débézed, le 28 janvier 2010 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 7 étoiles
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« San José sature de peur et de solitude »

Tout semble pourtant bien paisible dans cette petite ville de Colombie noyée au milieu des champs de coca, Ismael, ce vieux professeur respecté, est heureux au-dessus de son échelle à cueillir ses oranges mais surtout à mater la jolie voisine qui s’exhibe toute nue dans son jardin. S’il n’a plus la vitalité, il a pourtant conservé l’envie et il ne peut s’empêcher de contempler les jolies femmes et de les imaginer soumise à leurs désirs et au sien. Et, avec la séduisante voisine, s’instaure un petit jeu, entre le voyeur et l’exhibitionniste, plein d’innocence mais cependant empreint d’un certain raffinement sexuel. « Tout en elle suggère l’intime désir que je la regarde, l’admire, comme la regardent et l’admirent les autres, … Elle a envie que des générations entières la regardent, l’admirent, la poursuivent, l’attrapent, la culbutent, la mordent, la tuent, la ressuscitent et la tuent encore. »

Et pourtant ce petit monde où les seules tensions sont celles que provoquent les hormones un peu trop agitées chez certains, bascule dans la violence, le cynisme et l’horreur quand la guerre débarque dans la région puis dans la ville. Les tueurs car, armée et narcotrafiquants, paramilitaires et guérilla, sont tous confondus dans une seule et même troupe qui sème la mort et la peur sur son passage sans que la population sache bien faire la différence entre tous ces « hommes en armes » comme les dénomme Horacio Castellanos Moya.

Et les massacres commencent, les enlèvements avec demandes de rançons se multiplient, les exactions deviennent courantes et l’horreur devient si banale qu’elle finit par faire partie de la vie de ces braves citoyens qui s’enfuient comme ceux qui ont déjà déserté les montagnes avoisinantes. « Il y a moins de deux ans on comptait près de quatre-vingt-dix familles, mais avec l’arrivée de la guerre – narcotrafic et armée, guérilla et paramilitaires – seize seulement sont restées. Beaucoup de famille ont été décimées, les autres ont dû partir de force et, depuis, qui sait combien de familles vivent encore là-bas. »

Et, à son tour, Otilia, la femme d’Ismael, disparait sans laisser de traces et le vieux professeur part à sa recherche sans grand espoir de la retrouver, comme tout un pays est en quête d’une paix en laquelle il ne croit plus guère. Perdant de plus en plus ses facultés, Ismael divague dans la ville où il ne rencontre que la peur, la mort et bientôt plus rien car il est reste le seul, résistant malgré son apparente folie qui n’est peut-être après tout que la seule arme qui reste à un vieux un peu décati pour résister à sa façon et vivre encore pour attendre Otilia. « Comment puis-je rire alors que je n’ai qu’une envie ; de dormir et ne pas me réveiller ? C’est la peur, cette peur, ce pays que je préfère carrément ignorer en jouant les idiots avec moi-même pour rester vivant, ou avec l’envie apparente de rester vivant, car il est fort possible que je sois port et bien mort, en enfer, et j’en ris. »

Tout le drame de ce pays pris entre des forces toutes aussi corrompues et cyniques, n’ayant aucun égard pour les populations qu’elles martyrisent, comme Ramon Chao en a rencontrées lors de son épopée, avec la Mano Negra, à travers la Colombie qu’il a racontée dans un « Un train de glace et de feu ». Toute cette violence qui semble tellement fatale qu’elle est devenue quotidienne, banale et inéluctable de quoi rendre encore plus crédible le livre de Fernando Vallejo, « Et nous irons tous en enfer ». L’humanité mériterait sans doute une telle sanction si on la regardait à travers le seul prisme colombien tant l’inhumanité y a été poussée loin.

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