Mon année, tome 1 : Printemps
de Jean-David Morvan (Scénario), Jirō Taniguchi (Dessin)

critiqué par Sahkti, le 25 novembre 2009
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
L'éveil d'une fillette
Capucine a huit ans, des lunettes et de grands yeux, un sourire malicieux, des rêves de petite fille et la trisomie 21. De quoi expliquer que les gens la trouvent bizarre ou la considèrent avec une compassion parfois dérangeante. Caroline fréquente une école du circuit classique mais elle ralentit le reste de la classe et la direction ne souhaite pas la garder en ses murs. Une situation difficile qui va mettre les nerfs de ses parents à rude épreuve, eux qui doivent déjà affronter leurs dissensions à propos de l'éducation de la gamine. Un couple au bord de la mésentente totale, de quoi intriguer et culpabiliser Capucine qui se demande si elle est responsable de tout cela. Heureusement, il y a Garçon, le chiot reçu pour son anniversaire, confident des moments douloureux, tout comme Douroudoudou, l'ami imaginaire.

Cet album est le premier tome d'une série qui devrait en compter quatre, narrant le quotidien de Capucine pendant l'année qui sépare ses dix ans de son onzième anniversaire. Une petite aimée par des parents qui se déchirent tant ils voudraient le meilleur pour leur fille et ne supportent pas cette différence que les regards extérieurs lui font porter sur les épaules. Le père de Capucine a toujours tenté de "régulariser" le handicap de sa fille, a pensé que tout finirait par s'arranger tandis que la mère nourrit une relation plus protectrice avec la petite.

Une des grosses difficultés de cet album a été de contourner l'écueil du handicap de Capucine. Quand on la regarde, on remarque bien un sourire parfois trop marqué, des yeux immenses qui dévorent le monde mais rien d'autre, d'où cette illusion donnée au père que sa filleé tait une enfant comme les autres. Taniguchi crée un personnage étrange et attachant, composé de maladresse et de douceur. Les parents sont également bien restitués dans leurs attentes et leurs agacements; autant d'émotions qui transparaissent du dessin avec aisance et sobriété. Des émotions de personnages qui éveillent également divers sentiments chez le lecteur, que ce soient la tristesse, la pitié, l'énervement ou la colère. Le handicap de Capucine ne laisse pas indifférent, tout comme le comportement de ce monde qui l'entoure. L'enfant peut pousser au soupir lorsqu'elle renverse quelque chose, idem avec ses parents lorsqu'ils se plaignent de leur sort... il y a dans le travail de Morvan un talent à faire ressentir l'ambivalence des sentiments face à de telles situations. Allié à la pudeur que l'on peut deviner à travers le dessin de Taniguchi, liée à la perception du handicap dans la société japonaise.

Un album particulièrement réussi sur ce point, tout comme pour son aspect esthétique, ces décors figés, cette impression de temps immuable. Taniguchi s'est essayé au style franco-belge, délaissant son univers des mangas pour travailler directement en concertation avec Morvan, sans pression d'un directeur artistique ou d'un éditeur. Le résultat est à découvrir !