I have a dream, suivi de La nation et la race
de Martin Luther King, Ernest Renan

critiqué par Numanuma, le 8 novembre 2009
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
Du droit des peuples à décider d'eux-mêmes...
A une heure où la droite lance un douteux débat sur l’identité nationale, relire ces deux textes historiques réédités par les éditions Points est une excellente idée : I have a dream, discours de Martin Luther King et La nation et la race, conférence en Sorbonne d’Ernest Renan.
Débat douteux mais pas illégitime. Douteux parce qu’il s’agit tout simplement d’une manœuvre politique visant à la majorité à reconquérir le cœur dur de son électorat, une droite catholique, traditionaliste, aisée qui pourrait être tentée par les sirènes de l’extrême droite aux prochaines élections régionales ; électorat échaudé par le passe-droit présidentiel envers son fils pour la présidence de l’EPAD, par le scandale savamment orchestré et par le Front National autour du nouveau ministre de la culture Frédéric Mitterrand.
Mais il s’agit d’un débat légitime en ce sens qu’il n’appartient pas à un seul parti. C’est une question de fond, une réflexion importante, voire vitale pour le choix d’un type de société ; c’est un débat véritablement national qui implique aussi bien les politiques que les citoyens.
Aussi, relire le texte de la conférence d’Ernest Renan est-il à la fois instructif et surprenant. Nous sommes le 11 mars 1882 et Renan, agrégé de philosophie, professeur au Collège de France, Académicien, considéré par le Pape comme le « blasphémateur européen » pour son livre sur la vie de Jésus, prononce ce discours dans lequel il affirme que ni la race, ni la langue, ni la religion ne peuvent définir une identité nationale ! Qu’on se souvienne du tollé soulevé par Valéry Giscard d’Estaing lorsqu’il proposa dans son projet de constitution européenne de faire une référence explicite aux origines chrétiennes de l’Europe pour avoir une idée des répercussions de son texte !
Pour Renan, on n’appartient à une communauté nationale qu’en voulant y appartenir ; en ce sens, nie la géographie, ni la race, ni la langue, ni les intérêts, ni la religion ne peuvent fonder une nation. Et, fort logiquement, si la race, en supposant qu’elle existât, ne peut être un fondement puisque la communauté nationale ne peut se fonder sur la biologie mais sur la volonté.
L’exemple le plus parlant que donne Renan est celui de la Suisse, « si bien faite, puisqu’elle a été faite par l’assentiment de ses différentes parties » et qui « compte trois ou quatre langues ». S’il est tentant et aisé de faire reposer une nation sur la race, cela reste un principe dangereux et faux : « On crée ainsi une sorte de droit primordial analogue à celui des rois de droit divin ; au principe des nations on substitue celui de l’ethnographie. C’est là une très grande erreur, qui, si elle devenait dominante, perdrait la civilisation européenne. Autant le principe des nations est juste et légitime, autant celui du droit primordial des race est étroit et plein de danger pour le véritable progrès ».
Je rappelle que nous sommes en 1882 et que Renan prévoit déjà les dérives racistes à venir au XXe siècle !!
A ce texte répond parfaitement le discours de Martin Luther King du 28 août 1963 au terme d’une marche de plusieurs jours rassemblant plus de 250 000 personnes.
Ce discours, I have a dream, présenté ici en version bilingue, est un cri d’amour du pasteur pour son pays, une supplique et un hymne à la liberté. Ce qu’il affirme, c’est la volonté du peuple noir de vivre en harmonie avec le peuple blanc dans son pays. En ce sens, il marche dans les pas de Renan qui voyait lui dans les Etats-Unis un bon exemple de fondation d’une communauté nationale sur la volonté de chacun.
La marche du pasteur n’aura pas été vaine puisque, malgré l’assassinant de Kennedy en novembre 63, le Civil Rights Act est voté l’année suivante. Les exemples et images utilisées par King sont étonnants : il parle d’ « encaisser un chèque », de « billet à ordre » pour évoquer les promesses contenues dans la Constitution et la Déclaration d’Indépendance, promesses dont les Noirs sont toujours en attente de leurs réalisations.
Les revendications des noirs américains sont légitimes mais il faudra malgré tout les obtenir dans la justice et le droit, pas avec les armes de la violence de leurs adversaires. Cette marche n’est donc pas une fin mais un début, le commencement d’un nouveau combat qui ne pourra plus être ignoré. A ce jour, il n’est toujours pas terminé…