Pour en finir avec Octobre
de Francis Simard

critiqué par Dirlandaise, le 11 août 2009
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Un homme dangereux...
« Francis Simard est un homme dangereux. Il l’était, il y a trente ans. Il l’est encore aujourd’hui. Plus que jamais. C’est pour ça que je l’aime. Comme mon frère. » (Pierre Falardeau).

Lorsque j’ai tenu ce livre entre mes mains, je savais ce qui m’attendait à sa lecture. Je savais que je tenais entre mes mains un document exceptionnel, un témoignage unique d’un homme unique, un homme vrai, un homme du peuple, ordinaire, qui rêvait d’une vie meilleure et qui a pris les moyens concrets qu’il croyait les bons pour réaliser son rêve. Mon cœur battait, je sentais une boule dans ma gorge, un surplus d’émotions affluait en moi et il m’a fallu un certain temps avant de me décider à l’ouvrir et à y plonger.

Derrière le personnage extraverti et flamboyant de Pierre Falardeau, il y a le timide, l’humble, l’effacé Francis Simard. Un homme en apparence insignifiant mais à la pensée politique foudroyante. Francis Simard a écrit ce livre tout juste après sa sortie de prison où il a passé douze années pour l’enlèvement et le meurtre du ministre québécois Pierre Laporte. En effet, Simard est un des quatre felquistes de la cellule de financement Chénier, une branche du FLQ (Front de Libération du Québec). Il a écrit ce livre pour se libérer d’Octobre 70, pour enfin « passer à Novembre » comme il dit.

Le livre débute avec une préface de Pierre Falardeau. Dans la première partie, M. Simard raconte tout de suite l’enlèvement et une partie de la détention de M. Laporte. La deuxième partie intitulée « Avant » raconte tout le cheminement politique de Francis Simard, son adhésion au RIN, son passage au Parti Québécois où il n’a pas retrouvé son idéal, ensuite la fondation du FLQ, un groupe d’action politique financé par des vols de banque. M. Simard raconte son enfance, son adolescence et surtout, il explique son engagement envers l’indépendance du Québec et l’importance que ce projet a pris dans sa vie. Dans la troisième partie du livre, il raconte la suite de la détention de M. Laporte, sa mort, l’abandon du corps et sa découverte par la police. Suivent ensuite les longues journées au cours desquelles les quatre felquistes doivent se cacher car ils font l’objet d’une traque effrénée de la part des forces de l’ordre. Viennent ensuite leur arrestation et leur incarcération. Tout s’arrête ici, M. Simard ne désirant pas parler de son séjour en prison. Une postface, écrite par l'auteur, intitulée « No passaran ! » complète l’ouvrage ainsi qu’une chronologie des événements depuis la fondation du RIN en 1960 jusqu’à la libération conditionnelle de M. Simard en mars 1982.

J’ai résumé bien sommairement le contenu du livre. Il contient beaucoup plus que ce que j’ai décrit mais je ne peux tout raconter ici. Il faut le lire. C’est un des plus beaux livres que j’ai lu à date, un livre qui m’est rentré dedans, m’a atteint directement au cœur. Écrit d’une façon toute simple avec des phrases courtes et nerveuses, l’écriture d’un homme du peuple, d’un simple électricien qui avait un rêve immense et a refusé la vie de soumission et d’esclavage que le système lui réservait. Un homme beau, possédant une personnalité sans aucun rapport avec l’image qu’il projette. Un homme fier, qui assume tout, ne renie rien des événements d’Octobre, qui ne cherche pas la pitié ni la compassion. Un homme encore debout malgré tout ce qu’il a subi et vécu. Un témoignage exceptionnel qu’il faut lire pour bien comprendre l’histoire du Québec et ce qu’on appelle « la Crise d’Octobre ».

Il y a tant de beaux passages que je voudrais reproduire ici mais ce serait trop long, je dois me limiter malheureusement.

"Raconter Octobre, je ne sais pas si je vais en être capable. Y a les mots à trouver dans ma tête. Y a ce qui s’est passé à sortir de mon ventre. Je n’ai jamais raconté ça à personne. Pas même à moi. Je n’ai jamais voulu revivre ça dans ma tête. C’est affreux la mort. Affreux à dire, affreux à porter. Je ne suis pas capable de me justifier. Je ne parviens pas à me dire « c’est moi ». C’est impossible. C’est quelqu’un d’autre."

"Les ouvriers bâtissent les universités, ils n'y vont pas !"

"C’est facile d’être brave en haut des épaules, c’est plus dur en bas."

"À nos yeux, le pouvoir politique et économique devait appartenir à ceux qui "produisent" la société, pas à ceux qui l'administrent à leur profit."

"Le FLQ, ça été un choix. Celui de s'organiser, de prendre les moyens pour s'organiser. Ces moyens-là se trouvaient en marge de la légalité. Nous avons choisi la non-légalité. Nous n'avons pas attendu que d'autres nous organisent. Nous l'avons fait nous-mêmes."

"Je ne crois pas aux choses immuables. Je ne crois pas que la vie ce soit un acte solitaire qu’on devrait assumer tout seul. J’ai comme l’impression de n’avoir jamais cru que j’étais né dans un monde où tout était décidé, que rien ne pouvait changer, qu’il fallait donc l’accepter en cherchant tout seul à s’en sortir. Il me semble que c’est comme la vie. On vient au monde, on grandit, on vieillit, on meurt. On change tout le temps. Si c’est vrai pour une vie humaine, ça doit être vrai pour une société. Toutes les sociétés."

"Il y avait l’indépendance à faire. Il reste encore l’indépendance à faire. Quand tu n’as pas de pays, en vouloir un, c’est toujours révolutionnaire. Personne ne pourra rien y changer. Au Québec, le nationalisme, avant d’être une théorie, c’est un fait, une réalité. C’était la réalité de nos grands-pères. Ça va être la réalité de nos enfants. La dope, le disco, les sectes, ça va passer. Le besoin d’un pays, non !"