Dans ce livre écrit au moment où la détente succédait aux heures chaudes de la guerre froide, Soljenitsyne dénonce la vision à court-terme des démocraties occidentales, obnubilées par la volonté d’éviter un conflit majeur et séduites par la perspective de débouchés commerciaux dans les Etats communistes. Pour lui, l’erreur fondamentale de l’occident est de ne pas considérer le communisme comme un mal absolu, à l’instar du nazisme, et de lui attribuer la dignité d’un système politique et philosophique, alors qu’il n’est qu’un instrument de conquête et d’asservissement. De cette erreur fondamentale découlent plusieurs erreurs secondaires dont les plus importantes sont :
* croire qu’il est possible de discuter et/ou de négocier avec des régimes communistes (qu’ils soient soviétiques, chinois ou cubains) alors que leur seul but est de conquérir la planète en brisant les peuples et en asservissant les masses. Pour cette raison, il condamne sans ambages la politique de détente de l’occident avec l’URSS et le rapprochement opéré avec la Chine, qui visait à isoler l’URSS. Depuis la seconde guerre mondiale, l’occident a multiplié les concessions et a été pris dans un jeu de dupes profitant aux puissances communistes, qui peuvent ainsi ménager des pauses et rassembler leurs forces entre deux phases d’expansion.
* croire que le communisme a été dévoyé par des contingences historiques (par exemple, le fait que la révolution communiste se soit produite en Russie au lieu de se produire en Allemagne ou en France) ou par des dirigeants malhonnêtes qui ont trahi les idéaux de la révolution pour s’accaparer le pouvoir. Paradoxalement, Soljenitsyne pourfend la dénonciation des crimes de Staline car il n’y a pas, selon lui, de singularité stalinienne. Le communisme a, dès son origine, été érigé sur des charniers et des crimes de masse et Staline n’est que le continuateur, fidèle (stupide mais fidèle), du système et des méthodes mis en place par Lénine et Trotsky. Pour Soljenitsyne, il n’y a pas de valeurs communistes, même dans ses principes théoriques : la fraternité, la solidarité, etc. n’ont pas besoin du « label » communiste pour être érigées en valeurs.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Soljenitsyne affiche clairement son attachement aux valeurs (notamment religieuses) de la nation russe, qu’il présente comme la première grande victime des soviétiques. Il s’insurge d’ailleurs que les occidentaux confondent régulièrement les russes et les soviétiques alors que ces derniers sont les bourreaux des premiers.
Pour Soljenitsyne, l’occident doit se ressaisir et, sans espérer un illusoire « Vietnam » soviétique, cesser de refuser le combat contre le communisme qui cherche à le tuer. L’occident doit combattre l’influence des partis communistes implantés en son sein (il cible notamment la France et George Marchais, contre lequel il a des mots très durs) et s’appuyer sur les forces nationalistes encore vives qui irriguent, au sein des nations asservies, la résistance à la domination soviétique. Même si elles étouffent sous une chape de plomb, les nations n’ont pas encore été brisées par le communisme. D’ailleurs, Soljenitsyne attribue à cet esprit de résistance l’effondrement des armées soviétiques en 1940 car les russes ont initialement refusé de se battre pour sauver un système honni.
Néanmoins, les crimes du nazisme n’ont pas permis à Hitler de capitaliser sur la haine du communisme ; au contraire, ses thèses racistes ont régénéré le nationalisme slave, qui a finalement sauvé l’URSS…
Soljenitsyne regrette que l’occident ait depuis toujours peur du nationalisme russe alors qu’il est son principal allié dans une lutte à mort où l’occident, engoncé dans son confort de vie, se dérobe par lâcheté. Il dénonce notamment, avec des termes très durs envers les Américains et les Anglais, les trahisons des pays occidentaux qui ont refusé d’appuyer les russes résistants et, après la seconde guerre mondiale, ont livré à Staline des dizaines de milliers de russes, d’ukrainiens, de tatars, etc. qui ne voulaient pas retourner en URSS…
L’analyse de Soljenitsyne est pertinente car ce sont bien les nationalismes qui ont finalement érodé la CEI puis triomphé avec l’effondrement du communisme. Ses arguments sur la singularité du génie de la nation russe (qui font un peu écho à ce qu’on peut aussi lire chez Dostoïevski) ont néanmoins une connotation nationaliste et religieuse (orthodoxe) qui peut déplaire et explique pourquoi, après la chute du mur, son prestige international a été écorné par des prises de position jugées conservatrices (on lui a reproché de ne pas rallier le camp des pro-occidentaux) qui sont, en fait, parfaitement cohérentes avec ses avertissements répétés sur les travers de la société capitaliste et avec ses éloges de la nation russe.
Eric Eliès - - 51 ans - 25 mai 2017 |