A la guerre
de Paul Fussell

critiqué par Smokey, le 16 avril 2009
(Zone 51, Lille - 38 ans)


La note:  étoiles
Excellent ouvrage, bourré de références culturelles et d'humour.
Voici un livre abordant la seconde guerre mondiale de manière inédite.

Paul Fussell était lieutenant de l'armée américaine, il a participé à la campagne en France dès 1944 et a été blessé en 1945. Par la suite, il est devenu professeur de littérature anglaise à l'université. Ce qui est passionnant dans ce livre c'est le rapport constant entre la guerre et les arts, les parallèles entre l'impact matériel de la guerre et son effet sur la culture. Fussell effectue constamment des rappels à diverses oeuvres littéraires, musicales ou cinématographiques.

Le livre se découpe en 18 chapitres portant sur la vie psychologique et affective des américains et des britanniques pendant la guerre:

* Du service léger aux lourds sacrifices: Fussell commence par effectuer une comparaison entre ce que les magazines, le cinéma, le journalisme mettent en avant dans la guerre face à la réalité des combats, le tout agrémenté de citations.

* " Le bombardement de précision va gagner la guerre ": Ici, l'auteur met en avant la croyance naïve de l'opinion publique sur ce qu'on nomme aujourd'hui les frappes chirurgicales. Fussell avoue que l'ensemble des attaques menées sous cette appellation ont prodigieusement foiré (toujours avec preuves, chiffres à l'appui).

* Quelqu'un a fait une gaffe: là le texte porte surtout sur l'insouciance première des soldats (qui sont vite retombés de leur nuage en plein dans les combats des bocages). Il avance d'ailleurs l'idée que la tradition voulait que la WWII puisse être utilement conçue comme un vaste théâtre d'erreurs et de reprises comme dans le roman de W.Wharton "A Midnight Clear".

* Rumeurs de guerre: comme son titre l'indique, de nombreuses rumeurs se propagent chez les soldats comme chez la population civile. Quelques exemples: dans les camps d'entraînement militaire, les autorités ajoutent clandestinement du salpêtre à la nourriture pour refroidir le désir sexuel et rendre les hommes plus faciles à contrôler/ Churchill recevait des royalties chaque fois qu'un char portant son nom sortait de la chaîne de production...

* L'école du soldat: débute par la citation de Melville "Toutes les guerres sont puériles et sont livrées par des enfants", où comment un homme perd son statut pour devenir un soldat.

* Des livres que personne n'a lus: de nombreuses références à la littérature (surtout américaine) sur les remplaçants (les soldats issus de sections plus jeunes remplaçant les vétérans tués ou blessés).

* Chickenshit : une anatomie. Alors, ça c'est le meilleur moment du livre. Parce que la chickenshit, même si c'est un personnage courant dans l'armée, on le retrouve également dans la vie civile. Littéralement, "chickenshit" signifie "chiure de poussin". Qu'est-ce? Et bien, ce sont les comportements qui rendent la vie militaire encore plus pénible qu'elle ne l'est par obligation: le harcèlement des faibles par les forts, le désir des petits chefs de pouvoir, d'autorité, de prestige, le sadisme à peine dissimulé. "Si l'on dit chiure de poussin et non de cheval, de taureau ou d'éléphant, c'est parce que la chickenshit est étriquée, minable: elle consiste à prendre le trivial au sérieux, elle n'a rien à voir avec l'objectif de gagner la guerre. Si vous êtes simple soldat, vous saurez que vous êtes victime de la chickenshit quand votre sergent vous collera de corvée de cuisine non pas parce que c'est votre tour, mais parce que vous n'étiez pas d'accord avec lui sur une question de goûts et de couleurs quelques soirs auparavant." (p.102)

* Alcool : beaucoup trop ; Sexe : pas assez. Pas besoin de disserter sur le sujet, le titre est assez clair. De nombreuses références cinématographiques dans ce passage avec des analyses intéressantes sur la vision de l'homosexualité et sur les travestis dans les pièces de théâtres jouées par les soldats.

* Stéréotypes. Encore un chapitre intéressant avec tous les préjugés de l'époque, le monde en guerre doit être réduit à un schéma simpliste. J'en mets quelques uns pour le plaisir: "Un Chinetoque tiendra pendant des jours avec une poignée de riz"/ Les italiens se battent un pas en avant deux pas en arrière". Il y a beaucoup d'études sur les italiens et les japonais dans cette partie

* Le vide idéologique: jusqu'à la découverte des camps de concentration, la plupart des soldats ne savaient pas réellement "pourquoi" ils se battaient.

* Accentuez le positif. Bon, je ne vais pas m'étendre sur cette partie, elle met en valeur les messages, les slogans destinés à faire gagner la guerre. Tout est amplifié dans le positif, Fussell explique comment les "bavures" sont passées sous silence par les autorités.

* Hauteur morale. Voici une citation qui résume le thème d'analyse de ce chapitre:
"Le vol de pneus a atteint de nouveaux sommets. Ce n'est plus seulement un petit larcin, c'est un coup de poignard dans le dos du transport américain. Parce qu'il manquait un pneu, on a perdu la voiture; parce qu'il manquait cette voiture, on a perdu l'homme; parce qu'il manquait cet homme, on a perdu son travail, parce qu'il manquait son travail, on a perdu le bombardier, parce qu'il manquait ce bombardier, on a perdu la bataille" (p.213). Tout un programme...

* D'une seule voix: le doute, l'analyse, la critique, la réflexion ne sont pas les bienvenus en temps de guerre.

* Privations: celles des américains, des britanniques, et également celles des civils d'Europe lors de la libération.

* Compensations: ou le plaisir qu'ont les soldats à voir leurs récits de guerre racontés dans les journaux de l'époque.

* Lire en temps de guerre: c'est la partie littéraire que je ne peux résumer tellement les références y sont nombreuses. Avec toujours la participation des écrivains à l'effort de guerre ou encore à la réserve de certains auteurs face à la barbarie.

* Langue fraîche: Fussell met en avant le désir des écrivains de langue anglaise entre 1940-45 de ne plus écrire de manière "mordante, éclairante, spirituelle, ironique ou habile" mais au contraire de se vautrer dans "les effusions, le verbiage, les clichés, les grandes phrases solennelles et l'assoupissement de l'esprit critique". (p.319)

* " La vraie guerre ne sera jamais dans les livres ": c'est la conscience et la conviction que la publicité optimiste et ses euphémismes avaient traduit l'expérience des soldats de façon si mensongère qu'elle ne serait jamais vraiment communicable à travers les livres.