Veillée funèbre
de Martine Muller (Scénario), Jérôme Lereculey (Dessin)

critiqué par Shelton, le 21 mars 2009
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Bonne nuit...
Martine Muller, une ancienne élève des beaux-arts de Mulhouse, passionnée de dessin qui, avec cet album, devient aussi une scénariste. Elle s’inspire d’une nouvelle de Nicolas Gogol, Vij, et elle avoue avoir pris beaucoup de plaisir à adapter un travail littéraire en bande dessinée. Il faut dire qu’elle a trouvé, pour tenir le crayon, quelqu’un qui était tout à fait à même de la comprendre et de partager sa sensibilité, puisqu’elle s’est adressé au dessinateur qu’elle connaissait le mieux, son mari, Jérôme Lereculey, dessinateur, entre autres, de la très belle série Arthur scénarisée par Chauvel. Nous sommes donc en présence de deux personnes aimant ces récits imaginaires et qui vont nous accompagner au bout de la nuit, aux portes de l’enfer…

La couverture est par elle-même un premier choc narratif. En effet, on ne fait pas assez attention aux couvertures en général. Le lecteur se précipite sur les premières planches. Pourtant, quand on connaît le temps passé sur les couvertures, il serait bon d’ouvrir les yeux et de pénétrer les histoires par leur intermédiaire. Un fond rouge sang, une femme blanche comme un fantôme, des branches ou racines agressives qui semblent tenter de l’attraper et, là-bas, plus loin, une église orthodoxe qui dort dans la pénombre… et la forêt qui recouvre la terre comme si la nature reprenait l’espace que l’homme et ses spiritualités avaient conquis au fil du temps…

Cette femme, sorte de fantôme, a les yeux rouges et un sourire énigmatique, un sourire à vous glacer le dos, à vous faire trembler, à vous faire fuir à travers les bois, même en pleine nuit… Les relents de nature, au premier plan, ne donnent pas envie de tendre la main à travers pour sauver cette femme que nous sommes, finalement, satisfait de voir si inaccessible…

Et vous voilà dans ce conte ukrainien, slave, oriental aussi…

Tout commence à Kiev… On dit que la ville est couverte de clochers peints à l’or fin… L’église orthodoxe règne en maitresse… On nait, on est orthodoxe sans se poser plus de questions… On est, aussi, baigné de cette ambiance mystique, de cette spiritualité de l’esprit, du symbole qui nous accompagnera tout au long de ce conte adapté en bande dessinée…

Thomas Brutus, jeune séminariste philosophe, est envoyé vers une famille. Un riche seigneur a envoyé un équipage pour venir le chercher. Pourquoi ? Sa fille, mourante, le veut à ses côtés pour dire les dernières prières… La fameuse supplique des agonisants…

Mais lorsqu’ils arrivent chez le riche commanditaire, sa fille, la belle et douce héritière, est déjà morte. Thomas ne souhaite que repartir le plus rapidement vers Kiev et son confort… Mais le père a promis à sa fille, à sa demande express :
« Ne permet à personne de me lire les prières, Papa… Fais amener le boursier Thomas Brutus qu’il prie trois nuits pour mon âme pécheresse, il sait ».

Thomas doit être un grand saint pour qu’une réputation de prière efficace l’accompagne, ainsi, à travers tout le pays… il va, effectivement, prier trois nuits complètes devant le cercueil ouvert de la pauvre jeune fille…

Il ne m’est pas possible de vous en dire plus. Vous devez lire cette histoire en un seul album – one shot comme on dit aujourd’hui – qui donne à la bande dessinée une « slavitude » et une touche littéraire certaine… Finalement, adapter, même librement, une nouvelle de Nicolas Gogol, ce n’est pas rien !

Le style graphique de Jérôme Lereculey s’adapte autant à cette culture qu’il s’était mêlé sans encombres à la celtitude des récits du roi Arthur écrits par Chauvel.

Un beau conte… cruel, une belle adaptation, une narration graphique efficace… Un grand plaisir et bonheur de lecteur ! Un incontournable !!!