Présentation
lorsque l’on s’intéresse au Nouveau Monde, nous sommes confrontés à de nombreux écrits (récits historiques des conquistadors puis des évangélisateurs dans un premier temps puis analyses de scientifiques européens ou nord-américains à partir du XIXe siècle dans un autre). Ces écrits ne proviennent que d’un seul côté : le Vieux Monde ou en d’autres termes : les riches, puissants et intelligents. Eduardo Galeano tente de renverser la donne dans cet essai qui bouleverse véritablement nos mentalités.
Il nous replace dans un contexte totalement différent de celui que nous avons l’habitude d’apprendre à l’école par exemple: « Ce livre avait été écrit pour converser avec chacun. Un auteur non spécialisé s’adressait également à un public non spécialisé, avec l’intention de divulguer certains faits que l’histoire officielle, racontée par les vainqueurs, cache ou déforme. […] De même, les commentaires les plus favorables ne vinrent pas de tel ou tel critique prestigieux, mais des dictatures militaires qui le célèbrent…en l’interdisant ! » (p.363 dans l’édition Pocket)
Analyse
Cet ouvrage a souvent suscité notamment lors de sa parution dans les années soixante-dix un vent de contestation des pouvoirs en place car il aborde des vérités difficiles à accepter pour les dirigeants. Les critiques fondées qu’il s’attache à prononcer ouvertement pour comprendre finalement la déroute de ce continent aujourd’hui remettent en cause le monde tel qu’il est. Tout le monde est finalement coupable de ce qui se passe : soit en agissant ouvertement pour garder les populations sous un joug moderne ou bien en fermant les yeux et en ne s’informant pas. E. Galeano remet en place de nombreux fondements qui sont ancrés en nous depuis l’Europe grâce à notre esprit de conquête que nous avons toujours eu et peut-être par la fierté de l’Histoire du Vieux Continent.
Malgré l’effort de véracité qu’ont entrepris les scientifiques ces 50 dernières années, il manque tout de même un avis fondamental : celui de l’homme vivant en Amérique latine. Les éléments historiques et culturels sont vérifiables et très bien restitués sauf que la neutralité historique et le temps ont effacé de notre mentalité de conquérant européen la réalité du terrain : On s’attarde seulement à un seul événement : la conquête. Beaucoup de choses sont cachées voire même omises pour oublier sciemment que la conquête n’est pas terminée.
E. Galeano nous livre ici le pillage des ressources humaines et naturelles de l’Amérique Latine depuis l’arrivée de Christophe Colomb à nos jours. Nombreux sont ceux qui considèrent cet ouvrage comme un évènement marquant de la pensée latino-américaine et émancipatrice contemporaines : « En Argentine il n’est plus nécessaire d’interdire aucun livre par décret.
Le Nouveau Code Pénal poursuit, comme toujours, l’écrivain et l’éditeur d’un ouvrage jugé subversif. Mais il poursuit aussi l’imprimeur, afin que personne ne se risque à imprimer un texte tout simplement douteux, et aussi le diffuseur et le libraire, afin que personne ne se risque à le vendre ; et, comme si ce n’était pas suffisant, il punit le lecteur, pour que personne n’ose le lire et encore moins le conserver. Le consommateur d’un livre est ainsi traité de la même façon que le consommateur de drogues. Dans ce projet d’une société de sourds-muets, chaque citoyen doit devenir son grand inquisiteur. » (p.388) Certains l’ont même qualifié de « Bible latino-américaine ». Il a été également offert au président des Etats-Unis Barack Obama par le président vénézuélien Hugo Chavez en 2009.
Cet ouvrage retrace en deux parties toute l’Histoire du Nouveau Continent, de 1492 à nos jours (les années soixante-dix). L’on nous explique que la découverte par Christophe Colomb ne relève pas d’une jolie fable où ce Nouveau Monde aurait été découvert malencontreusement (cf, C. Colomb pensait relier la Chine et l’Europe par une nouvelle route plus directe). L’Europe était un continent qui s'essoufflait à cette époque : maladies en tout genre et épidémies, traques au juifs et aux musulmans notamment en Espagne avec l’Inquisition puis plus tard les Guerres de Religions en France, le manque de nourriture et les grandes famines : les ressources alimentaires s’épuisaient. Le Vieux Continent avait besoin d’espoir mais surtout de place et de richesses !! : « En 1492, quand la botte espagnole se posa pour la première fois le sable des Bahamas, l’amiral pensa que ces terres étaient une avancée de l’île fabuleuse de Cipango : le Japon ; Colomb avait emporté un exemplaire du livre de Marco Polo, aux marges couvertes d’annotations. Les habitants de Cipango, affirmait Marco Polo « possèdent de l’or en abondance et les mines d’où ils l’extraient ne s’épuisent jamais… » » (p.22).
Après la chute de l’ère coloniale et de l’esclavage, les Etats-Unis ont pris le relais pour instaurer des dictatures et payer l’oppression des plus pauvres : essentiellement les communautés indiennes. Les Etats-Unis ont pris en main toute l’industrie des pays en ne développant que les zones portuaires, là où les marchandises vont être le plus rapidement acheminées : les industries sont toutes placées près de routes commerciales : environ 60% de l’industrie de l’Argentine se trouve dans la zone de Buenos Aires.
Avis du blogueur
Sans nous culpabiliser, E. Galeano tente de redonner une vraie vérité à l’Histoire de l’Amérique Latine. C’est un essai que je conseille d’avoir dans sa bibliothèque car il nous retrace une histoire que nous avons parfois peine à croire car nous n’avons pas l’habitude de l’entendre. Le pillage de ce continent existe encore et il est intéressant de comprendre pourquoi.
Aktukritik - Nantes - 39 ans - 28 décembre 2011 |