Possibles futurs
de Eugène Guillevic

critiqué par Kinbote, le 8 septembre 2008
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Raconter le possible
Dans ce recueil paru en 1996, un an avant la mort du poète, Eugène Guillevic écrit sur la plaine, le matin, le soir, Elle, l’oiseau, la lumière ou le silence.
Difficile à propos de cette poésie de gloser, d’ajouter des mots au peu de mots qui la caractérise. En des poèmes de trois ou quatre vers courts pour la plupart, qui sont autant de sentences, de conseils d’ami presque, de sujets de méditation, Guillevic cherche avec les états du monde un terrain d’échange. Il y a un constant va-et-vient entre les choses vues et son intérieur avec l’idée que l’attention à l’égard du monde peut changer les relations entre les êtres.

Étrangement, ce n’est pas une poésie qui se lit vite, elle invite à la lenteur. Alors que la « poésie longue », elle, se lit d’un trait cependant que les émotions nous traversent, chaque poème lu de Guillevic réclame un temps d’arrêt, nous fait regarder ailleurs, autour de soi. C’est une poésie qui conduit à regarder loin et en soi, qu’appelle l’horizon, la méditation, la communion des êtres avec l’espace et ce qui le remplit, le nourrit comme, entre autres, la lumière mais aussi son absence, la nuit, ou son effacement progressif, cette pénombre propre au soir.

En choisissant le titre de son recueil, Guillevic aura sans doute pensé à ces lignes de Baudelaire :
« En décrivant ce qui est, le poète se dégrade (...) ; en racontant le possible, il reste fidèle à sa fonction. »

Pour un recueil de liens relatifs à la poésie de Guillevic, on peut visiter le blog de M. Peltier :http://haikudusilence.skynetblogs.be/

Extraits :

Elle possède
Ce qui fait qu’on regarde

Couler l’eau du ruisseau
Sans jamais se lasser.

*

Ses seins
Gardent le secret,

An appellent
Au silence.

Ils sont ce qu’elle a
De plus planétaire.

*

Si tu n’étais pas
Ce que tu es pour moi,

Tout autres seraient
Mes rapports avec la rose.

*

Du rivage
Je t’ai vue nager.

Au bout d’un moment
C’était moi cette eau

Que tu traversais,
Que tu caressais.

*

Le matin
Ne déçoit

Que ceux
Qui n’aiment pas la nuit.

*

Le matin
Est aussi un fleuve

Qui enfle et va crever
Dans la verticale de midi

*

Le matin

Toute la musique
Des buissons muets.

*
(…)
Le soir
s’aperçoit surtout
À sa disparition
(…)

*
Le soir
Peut faire rire
De l’absolu

*

Quand devant toi
Tu as l’océan

Tu fréquentes les abords
De ton intérieur

*
Ce n’est pas
En t’accrochant
À plus en plus de choses,

En les parcourant,
En les écoutant toutes
Que tu t’éprouveras.

Une seule chose parfois
Peut suffire

Si tu lui donnes
Assez de temps
Pour communier.

*

Plus facile de trouver
Son royaume de silence
Dans la solitude et l’immobilité

Que dans la foule
Et le vagabondage,

Mais c’est parfois possible.
La condition :

Le don total
De soi-même à soi.