Les prisons de la misère
de Loïc J. D. Wacquant

critiqué par Fantômette, le 7 décembre 2000
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Une critique sans concession du Big Brother US...
... qui a le mérite d'ouvrir nos yeux occidentaux aveuglés par tant de clinquant. A force d'entendre parler des expériences américaines et de leur nouveau credo, j'ai nommé la tolérance zéro, on en était presque arrivé à croire que Big Brother avait enfin trouvé LA solution.
Le livre dérangeant (au sens étymologique du terme) de Loïc WACQUANT, sans volonté (affichée du moins) de toute démagogie vient à point nommé bousculer les idées reçues actuelles aux accents tellement séducteurs mais combien destructeurs si l'on n'y prend garde.
Il démarre son propos par un détricotage en règle de la situation néo-libérale outre-atlantique où il fait aisément apparaître les logiques de contrôle, d'exclusion et d'économie qui sous-tendent la politique américaine actuelle.
Le phénomène de la tolérance zéro est le plus connu sous nos latitudes mais n'est pas la seule caractéristique d'un monde qui lentement mais sûrement se met en place.
Mondialisation, mimétisme, contamination, peu importe finalement ce qui a déclenché le processus, toujours est-il que tous les pays sont touchés par la vague US qui emporte sur son passage la tradition de l'état-Providence pour instaurer avec plus ou moins de force un état pénitence et policier.
Il faut reconnaître qu’à première vue la situation américaine a de quoi laisser rêveur. Le cocktail mêlant rentabilité, moindre coût et effet immédiat a fait tourner la tête de plus d'un de nos dirigeants, toutes tendances confondues.
Comment en effet rester indifférent devant des statistiques ô combien alléchantes qui annoncent notamment la création massive d'emplois, le retour de la sécurité dans des quartiers autrefois délaissés par les forces de l’ordre, la diminution du nombre de SDF (ou du moins leur visibilité), etc.
Cependant, à y regarder de plus près, les fondations de ce bel édifice auraient plutôt tendance à révéler des vices cachés.
Quoi de plus simple que d'éradiquer les maux en agissant sur leurs symptômes plutôt que sur leurs origines. Ce serait remettre tout le système en question…
La réalité est pourtant celle de l'explosion carcérale et surtout de sa privatisation progressive par le recours aux entreprises spécialisées de sécurité, celle de la précarité salariale et son cortège de sous-emplois, celle encore de la diminution plus que substantielle du budget consacré à la protection sociale. Bien que des résistances existent en Europe (de manière inégale néanmoins), force est de constater que les politiques s’américanisent et que ça et là on retrouve les mêmes ingrédients.
Faisant une première escale en Grande Bretagne et plus particulièrement à Londres suscitant l’enthousiasme et le consensus, le nouveau credo fait une entrée remarquée dans les autres pays et l'on assiste petit à petit à la remise en question du rôle de l'Etat dans sa dimension sociale.
Le retour au déterminisme et au positivisme est latent lorsqu’on observe les effets déjà prégnants dans le domaine pénal et social : ciblage de population à risque (jeunes, non-européens, sans-abri), hausse des signalements, des arrestations et des incarcérations, durcissement des conditions d'octroi des aides sociales, fichage des populations assistées.
Petit livre (par son prix également, ce qui mérite d'être signalé), certes, mais important quant aux idées qu’il décortique et nécessaire en cette époque où tout ce qui vient des USA est pris pour argent comptant au risque d'en être aveuglé !
Un problème complexe ! 8 étoiles

Je suis loin de contester pas mal des opinions émises dans ce livre mais je ne peux m'empêcher de me poser une question: comment se fait-il que ce pays, et ce qu'il produit, provoque un tel engouement sur quasiment toute notre jeunesse européenne. Et cet engouement semble automatique et spontané !... Il doit y avoir là un problème d'efficacité... Un peu plus âgés, nos jeunes nous dirons que c'est le pays "où tout est possible" et ils n'ont pas tout à fait tort. Pourquoi reprocher aux Américains nos défauts ? Nos vieilles civilisations européennes se noient dans les législations sur tout et n'importe quoi. Elles noient nos jeunes candidats entrepreneurs dans des arcanes administratives sans fins et sous des impôts à en crever avant que d'avoir construit !... Notre problème est là: nous ne savons plus faire rêver nos jeunes et ils tournent leurs regards vers là-bas et ce là-bas est, en effet, loin d'être le paradis !... Mais où serait-il d'ailleurs ?...

Jules - Bruxelles - 79 ans - 6 octobre 2001