Le roi vient quand il veut : Propos sur la littérature
de Pierre Michon

critiqué par Falgo, le 6 juillet 2008
(Lentilly - 84 ans)


La note:  étoiles
Ambition de la littérature?
Pierre Michon est un cas. 5 ou 600 pages publiées lui ont suffi pour être qualifié par un critique professionnel de "meilleur prosateur français actuel".
J'ai lu toutes les opinions inscrites sur ce site. Elles révèlent difficultés, ambiguïtés et admiration inégalement réparties parmi les différents lecteurs. Ce nouveau livre, recueil d'entretiens et d'articles étalés sur les 20 dernières années, dévoile quelques fils pour entrer dans cette littérature aujourd'hui si singulière.
Singulière parce qu'éloignée des modes du temps, de la recherche du sujet qui plaira et du tirage rémunérateur pour le couple éditeur-auteur.
La posture de Michon est d'emblée hautaine, au sens que ce fou de littérature ne peut détacher récit et oeuvre d'art: "Qu'est-ce qui, d'un texte, fait une oeuvre d'art?". Il tente de répondre, pour les auteurs qu'il aime, pour ceux qui l'interrogent, pour lui-même, pour nous, à cette interrogation fondamentale.
Pour lui, un écrivain "est d'abord contemporain d'un état du monde qui l'écrase", "mais.. aussi... d'un état de la langue dont il fait une arme". Il s'ensuit que sa quête est à la fois éthique et esthétique. Sa production n'a de sens que si elle sort de l'ordinaire. Ainsi s'explique probablement cette recherche sophistiquée du vocabulaire comme de la construction de la phrase. Ce que la plupart des lecteurs ont noté, certains pour leur délectation, d'autres pour leur regimbement. Lisons Michon (p.57): "Il faut que je me persuade passionnément de l'idée que le miracle va peut-être arriver en cours d'écriture, qu'au détour d'une phrase et grâce à l'écrit, je vais comprendre dans l'éblouissement quelque chose - au monde, à mon rapport au monde."
On se trouve en face d'une sorte de mystique gourmand en perpétuelle quête du mieux, du plus beau, du plus significatif. Que l'on découvre, émerveillé, dans certains passages, certaines phrases de ses textes, mais pas dans tous, preuve de la hauteur de l'ambition comme de l'acceptation de la contre-performance, assumée, voire même revendiquée par l'auteur. Le talent ne lui sert pas à masquer ses échecs, il les livre autant que ses réussites. Par les temps de facilité qui courent, cette attitude est proprement admirable.
D'ailleurs Michon est assez lucide sur ce plan. Témoin, ce qu'il dit de certains de ses "collègues": "Le miracle initial, on est bien tenté de le transformer en métier" (p.148) ou "J'y vois la plupart du temps la vocation transformée en carrière" (p.180).
Ainsi Michon nous tire hors de la boulimie de lectures de divertissement pour nous mener vers la magnifique lenteur de la saveur des grands textes. Il s'en explique avec un mélange de naïveté voulue, de simplicité et d'orgueil désespéré. La lecture de ce livre nous conduit vers des hauteurs d'où nous redescendons avec un certain malaise dû à nos propres renoncements comme à la fadeur de la production courante. Ne dit-il pas: "L'art n'est rien, mais nous n'avons que l'art".
La Littérature, sinon rien 8 étoiles

Sa notoriété n’apparait pas à la mesure des innombrables entretiens, articles, études, colloques qui lui ont été consacrés depuis son premier récit à presque 40 ans publié chez Gallimard. Petit garçon du fond de la campagne creusoise il a grandi sans père entre une mère institutrice et des grands-parents s’exprimant en patois. A la faveur de mai 68, après s’être essayé au rock’n’roll, il dévie d’une carrière d’enseignant pour devenir à peu près bon à rien, vainement tenté par un besoin d’écrire sous l’influence notamment du nouveau roman. Quand enfin en 1984 il parvient à produire un texte publiable il déboule de façon inattendue sur la scène littéraire. Ce sera « Vies minuscules » (moins de 2000 ex. vendus la première année), suivi depuis d’une quinzaine d’ouvrages dont l’un couronné du Grand Prix de l’Académie Française.
Le thème de la vie recréée traverse quasiment toute son œuvre. A partir des noms réels de personnages obscurs ou misérables suggérés par des archives ou par des peintures il invente des biographies non sans y projeter une part de lui-même surtout quand il affirme : « Je ne suis pas ce que j’écris ». Ses propos sur la littérature ressentie comme un art sont là pour suggérer les grands auteurs qui ont façonné chez lui une écriture poétique, un style bref mais tonique, le choix des mots susceptibles de rythmer la prose. A 15 ans il se serait contenté de n’être qu’une réincarnation de Rimbaud. Dans la trentaine d’entretiens du présent recueil étalés entre 1987 et 2007, interrogé sur la genèse de ses principaux récits, il raconte sobrement le processus de la création qui est le sien, ce besoin mêlé de souffrance de l’écrivain qui n’écrit pas pendant des mois, parfois plus. Puis vient l’euphorie de la délivrance comme une nouvelle vague irrépressible qui active la main enfin prête à écrire.

Colen8 - - 82 ans - 2 avril 2017