La filière émeraude
de Michael Collins

critiqué par Jules, le 5 décembre 2000
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Une terrible lucidité et une volonté de lutter pour s'en sortir
Apparemment, ce livre est le premier écrit par cet auteur (1998), en tout cas le premier traduit.
La quatrième page de couverture ne nous livre rien quant à sa vie et je ne peux que supposer, sur base du livre, qu’il est encore jeune.
Liam vit en Irlande et est un garçon comme il y en a beaucoup de par le monde. Il va à l'école, s’amuse avec ses copains dans les rues et regarde les filles. Il a cependant un don particulier : il court très bien. Tellement bien que son père, alcoolique, sans travail et violent, met en lui tous ses espoirs : grâce à son talent de coureur, son fils va pouvoir obtenir une bourse pour entrer dans une université américaine. Il quittera l’Irlande et il ne doute pas qu’il restera aux États-Unis une fois son université terminée. Il ne reste donc au père qu’à attendre ce moment (en battant sa femme et ses enfants) pour voir pleuvoir sur lui les beaux dollars que son fils lui enverra !
Mais ces beaux espoirs vont vite s’écrouler : Liam va commettre une bêtise et sera envoyé en maison de correction. finis tous les espoirs du père !... Liam ira bien aux États-Unis, mais pas de la même façon !... Ce sera par la "filière émeraude"...
L'écriture de Michael Collins coule facilement. Pas de mots inutiles quand il décrit quelque chose. Il ne livre jamais que l’essentiel de ce qu'il faut savoir, pas plus. Elle est tendre quand il parle de sa mère, plus que dure quand il parle de son père, ou de la vie qu’il subit. Mais Liam est aussi un garçon assez intelligent et il ne manque pas de penser et de se poser des questions sur Dieu, la religion, la vie, les gens et la société qui l'entoure. Là aussi, il exprime ses opinions clairement et avec son vocabulaire.
Un exemple : " . Elle prouvait aussi la non-existence d'un dieu doué d’une quelconque compassion humaine. Les conneries d'églises, d’autels, de sacrifices et de chapelets qu'on priait chez moi pour avoir une bonne vie et une mort heureuse… Il valait mieux penser que j’étais seul. Ce n'était même pas une compréhension mélancolique, c’était un fait de la vie. "
Il est aussi torturé par l'idée que sa mère, morte juste après son départ, a été abandonnée au purgatoire pour des siècles à cause de lui, parce qu’elle avait mis au monde un bon à rien.
On est pris par le récit de ce jeune garçon, parce qu’il a vécu, subi, ses défaites, ses espoirs. Il est sympathique et bon et on ne souhaite qu’une chose : qu'il s’en sorte ! "
Courir pour se sauver 6 étoiles

« J'avais déconné à l'école, j'avais fait les 400 coups, je m'étais retrouvé avec les clochards et les durs » .
Que reste-t-il alors à Liam, dont l'unique et grand talent était celui de la course à pied qui aurait dû lui permettre d'obtenir d'une bourse d'études dans une université américaine ?
Comme beaucoup d'autres Irlandais avant lui qui ont franchi l'Atlantique pour tenter leur chance, il part aux Etats Unis en suivant la filière Emeraude, celle des travailleurs clandestins .
Il échoue d'abord dans un motel sordide « un vrai dépotoir »où il survit plutôt mal que bien en travaillant de nuit, mais tombe sous la coupe de Sandy un toxicomane qui a l'art de monter des arnaques et d'exploiter les autres à son profit.
Liam s'embarque alors avec lui et Angel, une adolescente enceinte, dans une sorte de road trip qui les mène dans un camp, une sorte de zone où s'entassent et survivent des familles de naufragés de la vie .

Toujours à l'affût d'une escroquerie basée cette fois sur des paris truqués, Sandy propose alors à Liam de rechausser les crampons, de l'entraîner et le remettre en piste pour en faire un champion censé faire la fortune de leur trio. Cette remise en selle, objet de nombreuses pages, véritable torture physique pour Liam, suffira-t-elle à le faire sortir de l'ornière et à faire son salut ?

Plus largement , le roman évoque aussi ce que représentent les Etats Unis pour les Irlandais, l'Eden mythique d'une possible réussite pour ceux qui n'attendent plus rien. Il révèle aussi le fonctionnement des universités américaines, qui ont besoin pour parfaire leur renommée, de recruter par contrat des athlètes étrangers de talent en les appâtant par un système de bourses.

J'ai apprécié diversement l'ouvrage .
Je me suis attachée à ce personnage d'écorché vif, qui porte en lui la déchirure de l'exil, de la séparation, partagé entre honte, désespoir et tentatives de sursaut. Dans ce récit à la première personne, Liam semble s'adresser directement au lecteur, le prendre à témoin de ce qui le hante et s'entremêle dans son sommeil : les souvenirs horribles des sévices subis en maison de correction tout autant que les images heureuses du paradis perdu de son enfance, celles des années précédant sa chute.
Mais j'ai aussi eu hâte de sortir de cette immersion dans l'enfer des losers, des marginaux, dans les paysages de désolation, et de la prose coup de poing, violente et crue de ce roman fiévreux.
Je dois reconnaître également que le long passage évoquant la solitude du coureur de fond a été pour moi source d'ennui .

Alma - - - ans - 19 février 2021


Plongeon dans l'Amérique profonde ... 2 étoiles

... ou l'histoire d'un paumé irlandais des temps modernes, quittant la haine de la famille, pour émigrer aux States et qui, parmi des marginaux, y poursuit sa lente descente aux enfers.

La pratique de la course de fond finira toutefois par empêcher notre héros de sombrer tout à fait et lui permettra même de ré-émerger et de finir par rentrer au pays retrouver les siens dont le souvenir le hantait tout au long du roman.

Ce roman aurait pu séduire par le thème du retour de l'enfant prodigue et par l'analyse sociologique de la marginalité en Amérique profonde. En fait, hélas, il s'est égaré dans de vains détails et des longueurs insupportables.

Ori - Kraainem - 88 ans - 17 avril 2009


L'apologie du sort 8 étoiles

Déchéance, destruction, dans le sombre, l'envers du décor. Un personnage qui patauge, hésite entre une réalité brute et ses réflexions schizophréniques, son désespoir et sa révolte.
L'Amérique sans ses couleurs, sous la loupe lucide de l'amertume.
Ce livre égaré interdit aux cafardeux, s'il laisse la place à une lueur d'espoir, garde quand même en filigrane ce fait indéniable que le sort ne se maîtrise pas toujours comme on voudrait, que la société peut rendre vil, dépendant, insecte tenu à l'écart.
La mélancolie coule comme la pluie sur une vitre, il fait gris, sale, dans ce roman, mais un gris sans compromis, pour une fois. Tout est fort, lourd et chaque mot cisaillé à la lame percutante de la clairvoyance amère...

Bluewitch - Charleroi - 44 ans - 2 juillet 2005


Cours Liam, cours. 8 étoiles

Comme suspendu au-dessus d'un gouffre avant la chute finale, l'existence de Liam semble s'être figée entre les faits et méfaits du passé et un avenir défait. Cloîtré dans un hôtel minable de la banlieue New Yorkaise, il est hanté par des visions oppressantes de son père dont il a tant souffert et pour lequel il nourrit une rancoeur immense mêlée de culpabilité pour ne pas avoir su répondre à l'espoir de celui-ci en devenant le fils qui réussit. Meurtri d'avoir laissé sa mère mourante seule au pays et humiliée en commettant cet acte lâche qui l'a forcé à quitter l'Irlande, il se voit condamné à un avenir pitoyable à travailler dans une usine de volaille puante, loin de ses rêves de triomphe sportif. Dépérissant dans d'atroces douleurs il ne songe qu'à échapper à son sort de raté.
La rencontre de Sandy le camé déjanté et d'Angel la pute enceinte, avec lesquels il participe à l'agression du cuisinier de l'hôtel, va précipiter sa fuite en avant. Ce périple va être l'occasion d'une réflexion sur le sens de la vie, sous le regard réconfortant d'Angel, souvent silencieuse, qui incarne l'espoir que tout est possible.
Une écriture solide qui repose sur une volonté d'atteindre de plein fouet le lecteur par une simplicité de ton percutant qui ne concède pas le droit à l'euphémisme à venir édulcorer le propos. Un récit fort pour une histoire sombre dans laquelle des lueurs d'espoirs parviennent à fissurer les remparts du fatalisme d'un monde peuplé de damnés.
Extrait: "J'ai regardé au dehors, et la pluie tombait toujours à verse. Je tremblais de façon terrible. C'était le genre de journée qui vous fait vieillir, qui vous donne la triste sensation que cette vie n'est que de la merde, et qu'on n'y peut rien. C'est le genre de chose qui est arrivé à chaque adulte, à chaque homme marié qui n'a pas l'argent nécessaire pour mener une vie décente. Rien d'aussi spectaculaire que de poignarder un cuisinier, bien sûr, mais la sensation est la même. Adieu jeunesse, adieu belle allure, adieu rêves de respectabilité. Bonjour quarante mille enfants, bonjour HLM, bonjour bistrot. Je savais maintenant pourquoi papa avait fait ça à maman jusqu'à ce qu'elle soit une blessure ambulante. Il la poignardait dans ses cauchemars et ressortait ses frustrations. Mais au moins tous ces connards avaient trouvé en douceur une sortie vers l'oubli, pas comme moi dans ce trou à rats, totalement isolé, seul. Je savais ce que mon père avait ressenti, je connaissais sa haine et son désespoir d'avoir un connard comme moi. J'étais si proche d'avoir une bourse, rien pour m'empêcher de lui donner la satisfaction de prendre le journal pour y lire des nouvelles de son fils, et aller au pub avec sa pinte de bière et ce connard de [chien]. C'est ça qu'il voulait et je lui volais toute dignité. Putain! Je me volais toute dignité."

Heyrike - Eure - 56 ans - 20 septembre 2003


C'est pas toi !... 8 étoiles

Tu es simplement victime d'une habitude ! Sorry, je dois vieillir...

Jules - Bruxelles - 79 ans - 15 novembre 2001


C'est pas moi! 8 étoiles

Jules, tu ne voulais pas dire "à Darius", plutôt qu'"à Sorcius"?

Sorcius - Bruxelles - 54 ans - 15 novembre 2001


A Sorcius 8 étoiles

Il est vrai que je n'ai pas tout dit, mais on m'avait déjà, à l'époque, fait la remarque que j'étais trop long... Alors j'avais voulu rester dans l'histoire. La dernière phrase de ta critique éclair est très juste à propos des américains et de l'auto-conviction. Ils sont incroyablement crispants à toujours croire que tout est meilleur chez eux qu'ailleurs. C'est vrai pour l'enseignement, la sécurité sociale, la démocratie, tout !... Quand j'y allais souvent et que je discutais avec eux je devenais fou ! Un jour j'ai même dit à un bonhomme "mais vous êtes aussi conditionnés que les Russes. Vous c'est dans la paix, eux c'est par la trouille, mais le résultat est presque le même !" Il est devenu vert !... Mais tout est fait pour... Le plumier des enfants de mon copain, chez qui je logeais, avait l'aigle américain gravé dans le bois avec sa devise "In God We Trust" et à chaque fois qu'il avait besoin d'un bic ou d'un crayon, il avait cela sous le nez ! J'ai dit à un Américain: "Et en plus vous êtes un état religieux !"
Lui non plus n'était pas fort content !... Eux trouvent cela normal. Maintenant, une seule excuse qu'ils ont, avec tous leurs drapeaux devant les sociétés, leur hymne national avant chaque rencontre sportive, même scolaire... c'est qu'ils ont dû assimiler des millions de gens venus de tous les coins du monde et s'ils voulaient arriver à faire une nation de tout cela, ils n'avaient pas beaucoup de solutions... Bref, ils m'énervent souvent quand même !... Mais ils forment une nation malgré tout, dans leur naïveté aussi, mais c'est le revers de la médaille. C'est pourquoi ils sont si souvent critiqués et par leurs propres intellectuels aussi. Je m'arrête, je pourrais en discuter des heures !...
A propos, le nouveau Collins que j'ai critiqué est tout aussi bien et, au moins aussi critique, si pas plus encore ! Mais Collins est Irlandais.

Jules - Bruxelles - 79 ans - 15 novembre 2001


Pérégrinations d'un Irlandais aux Etats-Unis 9 étoiles

Je viens de terminer ce livre et notre webmaster m'apprend qu'une critique en avait déjà été faite, le titre ne l'augurant pas.. Je recopie les quelques idées qui m'avaient frappée et dont Jules ne parle pas.. L'auteur, un non-Américain vraisemblablement, nous fait part, très lucidement, de ses quelques réflexions sur ce qui, à son avis, cloche dans cet immense pays.. "En Amérique, le pouvoir vous dit que vous êtes con et vous avez envie de répondre que vous en avez marre. Mais ils ne vous donnent pas l'occasion de former une phrase de révolte... Les gens de la télé se contentent de célébrer le succès des autres en vous offrant l'occasion d'apprendre les secrets de la réussite. En d'autres termes, le problème, c'est vous, qui restez assis sur votre cul, et non le système..." Dommage qu'en ces temps de belligérance à tous crins, les Américains ne tendent pas plus souvent l'oreille lorsque des étrangers parlent d'eux : "Les Américains ont une façon bien à eux de se raconter des histoires. Ils pensent être le "numéro un", un état d'esprit provincial avec lequel ils se retranchent dans leur communauté. On sent l'orgueil buté. Si on dit à quelqu'un qu'il est tout le temps le plus grand, ça finit par rester. On devient une prophétie qui s'auto-accomplit...".

Darius - Bruxelles - - ans - 15 novembre 2001