Passions d'Annie Leclerc
de Nancy Huston

critiqué par Christophe H, le 27 mai 2008
( - 62 ans)


La note:  étoiles
Ecritures et amitiés
Annie Leclerc n’est plus, mais l’amitié nouée avec Nancy Huston et célébrée dans ce livre la rend bien vivante : « Annie et moi nous adonnions à l’écriture, nos signes de vie perdurent aussi sous la forme de mots écrits. » Que la romancière se lance dans l’hommage à la philosophe, sa « copine rigolote » emportée par un cancer à l’automne 2006, aurait pu être triste, voire pesant. Pas du tout : c’est avec une plume espiègle et adroite que Nancy Huston nous donne à découvrir l’amitié féconde de ces deux amies fidèles, de ces femmes de lettres.
Tissant correspondances, citations et réflexions propres au gré d’une trentaine de sujets, « l’auteure » confie avec bonheur la fécondité de leurs échanges. Tout y passe : conjuguant les verbes aimer, mourir, jouir, pleurer, nager, et grappillant les histoires de mères, d’écrivains, de ménage, d’autobus, Nancy Huston fait de ce joyeux melting-pot un savoureux cocktail d’intelligence et de vie. « Le sens de la vie n’est rien d’autre que cela : savoir qu’on a vécu, sentir que le monde a été animé, en nous, par les êtres et les choses qui nous ont frôlées ».
On les voit, on pourrait presque être avec elles, dans un recoin de cuisine ou à la terrasse d’un café, discutant gravement ou partant d’un grand éclat de rire. Puis elles s’envoient quelques petits mots, impressions de lecture, nouvelles de la famille… Il y a, dans cette amitié, une vérité limpide, une pertinence simple. Une pensée haute à contre-courant de « ces penseurs qui définissent le lien comme ».
Ce ne sont pas, pour autant des propos lénifiants : « Annie Leclerc sait voir et dire les enfers que subissent ou que fabriquent les êtres humains. Dans le souvenir, un enfer se caractérise par une intensité suraigüe de la perception. Hyperéveillé et comme écorché, les sens à vifs, l’on est minutieusement agressé et blessé par chaque détail de la réalité abrasive, littéralement écrasé par la hideur du monde… » La belle écriture de ces amies complices, l’intense sensibilité de Nancy Huston, ordonnatrice de ces « Passions », fait de cet ouvrage un livre initiatique : il fait entrer dans la connaissance : « Car connaître l’humain, c’est aussi reconnaître sa faiblesse, sa souffrance, sa mortalité. » Belle leçon.


A lire aussi : « L’amour selon madame de Rênal », essai inachevé d’Annie Leclerc, Actes sud, 80 p., 10 €.