Un homme à la mer
de Emmanuel Merle

critiqué par Sahkti, le 8 avril 2008
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Deuil poétique
"Cette nuit la terre a haussé les épaules.
Lézarde au plafond, fissure de l'âme.
Quelque chose s'est décroché et brinquebale
Qui était déjà mal fixé, un sentiment
Déplacé. Mauvaise année, tu sais,
Mauvaise année "
(page 23)

Mauvaise année oui, permanente et durable, celle liée au deuil, à la disparition d'un père, à une plaie qui peine à se refermer.
Emmanuel Merle explore ces territoires de la souffrance et du souvenir, tentant de repousser les limites d'un travail mental que les mots peuvent apaiser. Mais rien n'est simple...

"Tu m'as laissé la rage, une amie au long cours
Celle qui comprime le temps pour dresser les montagnes,
Celle qui façonne en son four l'écume des nuages,
La rage que ma vie déglutit,
Un chien dans la gorge"
(page 45)

Alors le poète dépose les mots, raconte l'humain et tout ce qui le compose, exprime son chagrin et sa colère. Les phrases s'alignent, prennent vie, pour donner libre cours à une mélodie nostalgique et touchante, emplie de chaleur et aussi, surtout d'amour.

"J'ai pris on nom dans la cendre froide,
Brûlé qu'à peine. une fois donné,
On ne le rend jamais. froissé qu'à peine,
Une fois porté.
Je me souviens d'un nom semblable
Qu'un autre portait. je les ai brûlés
Tous les trois, nos noms et lui.
Mais le mien est resté, gorgé d'une eau
Intérieure qui bouillait
Mais ne débordait jamais.
C'est ce qui l'a sauvé. Alors
j'ai repris mon nom dans la cendre froide,
Brûlé qu'à peine. Nommé à nouveau,
J'ai pu pleurer."
(page 60)

De temps en temps, une baleine, un cétacé, la mer... autant de figures de l'infini jamais conquis et de cet horizon lointain que la Mort symbolise à sa façon.

"Jonas resurgit du ventre de la baleine
Comme on revient du royaume des morts.
Il est bon de n'être parfois personne
Mais il faut retourner à la vie,
Cétacé invisible qui vous nomme
(page 91)

Au final, par cette balade mélancolique, Emmanuel Merle nous entraîne sur des rivages intimes et peu explorés, ceux de sa propre mémoire et de son rapport à autrui. Poésie sobre et élégante, les mots m'ont bercée de multiples émotions qui demeurent, une fois le livre refermé.

(Ce recueil est le lauréat du Prix Rhône-Alpes 2008 du livre.)