Les éditions Allia font décidément un travail remarquable. Sous une couverture très élégante aux reflets bleutés, c’est un très beau texte de Nick Tosches, un des meilleurs écrivains américains de tous les temps, oui, il faut le clamer, ce gars est un écrivain d’exception, qui est offert à nos yeux qui n’ont pas eu l’occasion de découvrir cet article fleuve paru dans Vanity Fair en 2000.
De l’homme, je ne sais pas grand-chose finalement mais je connais bien l’auteur pour avoir plusieurs de ses livres, aussi bien des romans que ces textes fous d’érudition élégante et déglinguée que sont Hellfire ou Héros oubliés du rock’n roll que j’ai lu il y a longtemps, déjà parus chez Allia avant de connaitre ce site.
Ici, nous sommes quelque part entre le reportage, l’auteur est aussi un journaliste connu et apprécié, et la quête initiatique.
Passées les premières pages d’introduction qui feront beaucoup de peine aux amateurs de vin, du moins ceux qui se considèrent comme tel, mais dont le propos est plus profond qu’il en a l’air, Tosches s’envole, et nous avec, vers sa grande quête de la drogue sacrée, céleste et pure : l’opium.
Avant d’aller plus loin, pour éviter de perdre en route tous les anti-drogue, il faut bien comprendre que le propos n’est pas de légaliser la drogue. Rien dans ces 78 pages n’indique une quelconque position de l’auteur en ce sens. Il ne s’agit pas non plus d’une saga de la défonce, Keith Richards n’apparaît pas en filigrane derrière les lignes du texte.
Non, il s’agit d’une invitation au voyage, d’une chasse vers une tradition perdue lancée par cette phrase assez forte pour tuer n’importe quel ouvrage : « Vous comprenez, il fallait vraiment que j’aille en Enfer. J’avais, pour ainsi dire, le mal du pays ». C’est digne des articles du magazine Rolling Stones de la grande époque.
La grande force de ces pages est de rendre comparable la tradition antique de la fumerie d’opium, avec son cérémonial et ses outils précieux, à une cérémonie du thé. Vision romantique et documentée de cette tradition, l’article de Tosches nous raconte sa recherche à la fois de la matière, l’opium, et de la façon, c’est-à-dire l’endroit, la fumerie, les gestes et les sensations. Pour lui, il n’y a rien de plus pur et authentique que l’opium, sorte de mère de toutes les drogues. A le lire, on sent que l’expérience n’est pas pour le premier venu et que derrière la sensation idyllique se cache un grand danger. Plus qu’une quête de substance toxique, il s’agit d’une quête de soi. Le manque abreuve ces pages mais pas le manque vulgaire du junkie qui veut sa dose, il s’agit plutôt de remplir un trou, de combler un vide existentiel, de vivre une expérience autre, d’ouvrir un porte sur soi-même.
Mais attention. Ce livre est dangereux. Croyez-moi : je déteste perdre le contrôle et c’est exactement l’effet que procurent les drogues et pourtant, pourtant, j’ai eu envie d’essayer l’opium.
Essayer l’opium… J’ai beau l’avoir écrit, je n’arrive toujours pas à y croire.
Numanuma - Tours - 52 ans - 27 août 2012 |