En crabe
de Günter Grass

critiqué par Sahkti, le 16 septembre 2007
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Les silences honteux de l'Histoire
Le 30 janvier 1945, le Wilhelm Gustloff est coulé par un sous-marin russe. A son bord, des milliers de personnes fuyant la terreur de l'Armée rouge. Près de quatre mille enfants dans les flots glacés de la Baltique. Quelques centaines de personnes survivent, rien à côté de la population initiale.

Günter Grass se penche sur ce fait historique pour effectuer un devoir de mémoire. Il nous fait revivre ce dramatique incident, mêlant plusieurs générations qui se déchirent encore autour de cette tragédie. Le parcours de deux jeunes gens nous interpelle : l’un prend parti pour les juifs, l’autre pour les nazis. Les haines mal digérées resurgissent, les parents se souviennent, un profond malaise refait surface. L’Histoire suit l’Homme pas à pas. Un roman dur avec une avancée en crabe, à savoir tentant de fuir une réalité pourtant bien présente en effectuant des pas de côté.
C'est que beaucoup trop d'histoires nationales officielles passent encore sous silence le naufrage du Wilhelm Gustloff, par honte et embarras.
Quelle intensité et combien de sujets évoqués en si peu de pages ! 10 étoiles

Autour du naufrage du Wilhelm Gustloff, Günter Grass noue plusieurs fils, l’Histoire et des histoires : celle de Wilhelm Gustloff lui-même et de son assassin le juif Frankfurter, celle du bateau homonyme avec ses milliers de réfugiés victimes, celle du narrateur et de sa famille.
A travers ces récits et ces biographies passées et présentes, il flirte avec l’insupportable, changeant toujours juste à temps de point de vue ou de sujet. Surtout, il embrasse une multitude de thèmes :
- l’histoire allemande avec le nazisme, sa défaite, les exactions de l’armée soviétique, les difficultés de la réunification, les résurgences néo-nazies. Günter Grass nous présente cette Allemagne tour à tour bourreau et victime car il n’y a qu’un pas d’Auschwitz à Dresde ;
- les destins individuels : l’adolescence, la difficulté d’être parent, comment devient-on un assassin, comment devient-on un martyr, comment devient-on néonazi ?
Et à l’échelle individuelle et collective, la manipulation, la désinformation, le mensonge.
Que de sujets en si peu de pages !
Et quel art de l’écriture, faisant monter en parallèle la tension et se rapprocher inexorablement les catastrophes collectives et individuelles ? En tant que lecteur, bien que n’étant pas maître du récit, je cherchais malgré tout frénétiquement comment éviter l’inévitable. J’ai quitté le livre la conscience lourde des crimes individuels et collectifs qui avaient été commis.
A lire absolument !

Romur - Viroflay - 50 ans - 15 mars 2008