Femmes d'Alger dans leur appartement
de Assia Djebar

critiqué par Montgomery, le 5 mai 2007
(Auxerre - 52 ans)


La note:  étoiles
L’inlassable dénonciation d’une société-sérail
Assia Djebar, de son vrai nom Fatma Zohra, est femme, algérienne, intellectuelle (et accessoirement académicienne depuis juin 2005). Pour ces trois bonnes raisons au moins, elle mène au fil de sa plume le combat des femmes réduites au silence, à l’enfermement et depuis ce qu’elle appelle, pudiquement, la guerre de libération, à la figure de la mère. Alors, dans ce recueil de nouvelles, elle leur rend hommage, à ces femmes, avec tendresse et détermination. Hommage à celles qui souffrent et à celles qui leur portent assistance à l’image la vieille Yemma Hadda qui vient de rendre son dernier soupir (« Les morts parlent »). Hommage aux femmes qui laissent parler leur désir lors d’une rencontre de hasard (« la femme qui pleure »). Hommage aux femmes mariées par leur père à treize ans et qui préfèrent ne pas avoir d’avenir seules qu’un avenir avec un homme qu’elles n’aiment pas (« Femmes d’Alger dans leur appartement »). Hommage encore aux femmes qui, voulant ne pas être seulement des mères, se sont vues déposséder de leur maternité par leur belle-mère (« La nuit du récit de Fatima »).

Inévitablement, Assia Djebar, s’interroge, et nous avec elle, sur le rôle du passé dans l’emprisonnement culturel des femmes. Le passé fait souffrir, quand on ne parvient pas à l’oublier. C’est la leçon de la nouvelle intitulée « Il n’y a pas d’exil » : « Il y a ceux qui oublient ou simplement qui dorment. Et ceux qui se heurtent toujours contre les murs du passé ». Mais au sortir de la guerre de libération, il fallait s ‘appuyer sur une identité nationale, quitte à la caricaturer et à sacrifier les femmes algériennes : adieu la femme guerrière, galvanisant les hommes attirés sur le chemin de la lâcheté, bonjour la femme mère, voilée et soumise. Contre cela, Assia Djebar se bat, pour que toutes les Nadjia d’Algérie (« Jour de Ramadhan ») puissent poursuivre des études et travailler. Assia Debar est une femme libre et elle voudrait qu’il en soit de même pour toutes les femmes. Un combat qu’il faut saluer, sans réserve.
8 nouvelles 8 étoiles

« Femmes d’Alger dans leur appartement » est le titre d’une œuvre d’Eugène Delacroix, réalisée vers 1841 – 1842 après que Delacroix ait eu l’autorisation de pénétrer dans une demeure algérienne. Assia Djebar traite de ce cas précis dans la dernière nouvelle « Regard interdit, son coupé » :

« Le 25 Juin 1832, Delacroix débarque à Alger pour une courte escale. Il vient de séjourner durant un mois au Maroc, immergé dans un univers d’une extrême richesse visuelle …
…/…
A Alger, Delacroix ne séjournera que trois jours. Ce bref passage dans une capitale récemment conquise l’oriente, grâce à un heureux concours de circonstances, vers un monde auquel il était demeuré étranger lors de son périple marocain. Pour la première fois, il pénètre dans un univers réservé : celui des femmes algériennes.
…/…
L’aventure est connue : l’ingénieur en chef du port d’Alger M. Poirel, amateur de peinture, a dans ses services un chaouch, ancien patron de barque de course – un raïs d’avant 1830 – qui consent, après de longues discussions, à laisser Delacroix pénétrer dans sa propre maison. »

C’est donc la fugace vision de ce harem, de cet ensemble de femmes et d’enfants regroupés « au milieu d’un amas de soie et d’or », qui impressionnera Delacroix suffisamment pour lui permettre de réaliser de mémoire et d’après quelques croquis son œuvre, une première fois, puis quinze ans après une seconde version avec un nouvel effet de cadrage. Excellente analyse picturale d’Assia Djebar.
Mais l’essentiel des nouvelles est plus « politique », sociétal. C’est bien entendu la condition des femmes algériennes. Des vies pour la plupart tragiques, volées, voilées (ce qui est presque synonyme). Des vies qu’on n’envie pas.
Assia Djebar a le mérite de nous mettre en face d’une réalité qu’on pressent, qu’on devine mais dont on n’a pas d’échos vu l’enfermement dans lequel se trouvent ces femmes pour l’essentiel. Peu s’en sortent, ou parviennent à émerger du triste sort auquel on veut les réduire.
Des nouvelles modernes, écrites d’une plume facile, pour une triste réalité …

Tistou - - 67 ans - 16 juin 2013