Jacquou le croquant
de Eugène Leroy

critiqué par CC.RIDER, le 7 mars 2007
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Un classique régional
Martissou, pauvre métayer périgourdin du comte de Nansac, vit dans une petite ferme avec sa femme et son tout jeune fils Jacquou. Pour survivre, il braconne un peu dans les forêts du comte, ce que lui reproche ce dernier, nobliau de très fraîche date, vu que son grand-père n’était qu’un misérable porteur d’eau de la ville de Périgueux et que son père a réussi à s’enrichir en trafiquant au moment de la Révolution et de l’Empire. Le livre débute en 1815. Martissou abat le régisseur de Nansac parce qu’il venait de lui tuer sa chienne. Il écope de 20 années de bagnes sur les pontons malsains de Rochefort. Jacquou et sa mère en sont réduits à se cacher dans une cabane au fond des bois. Très vite, l’enfant se retrouve orphelin : le père ne survit pas au bagne et la mère meurt de chagrin. Il est recueilli par le bon curé Bonal qui l’élève comme un fils et lui apprend à lire et à écrire. Le brave homme sera chassé de sa cure et renvoyé à la vie civile car sa trop grande charité évangélique fait du tort au reste du clergé local. A la mort de son bienfaiteur, plus rien n’empêchera Jacquou d’assouvir sa vengeance…

Publié en 1899, le chef d’œuvre d’Eugène Le Roy est un magnifique témoignage sur la dure réalité de la vie paysanne en Périgord au début du XIXème siècle. On y fait la découverte d’une misère noire, de la rapacité des possédants, des passions exacerbées et du désespoir qui amènent à ces révoltes récurrentes de Croquants, Jacques et autres…

Livre de facture très classique dont le style est très proche de celui des plus grands (Stendhal, Balzac ou Hugo), la langue magnifique nourrie d’un vocabulaire si riche qu’il fait mesurer l’appauvrissement actuel et truffée de patois. (L’éditeur a eu l’intelligence de mettre un petit glossaire à la fin.

Ce livre est édité en Folio-Junior alors qu’il n’a plus grand-chose qui puisse intéresser la jeunesse actuelle : longueur (360 pages bien denses), style qui n’a rien de moderne et surtout une moralité terrienne pleine de roboratif bon sens qui peut même passer maintenant pour carrément réactionnaire pour ne pas dire plus…

« Liberté et pain cuit sont les premiers des biens. Manger le pain pétri par sa ménagère et fait avec le blé qu’on a semé ; goûter le fruit de l’arbre qu’on a greffé, boire le vin de la vigne qu’on a plantée ; vivre au milieu de la Nature qui nous rappelle sans cesse au calme et à la modération des désirs, loin des villes où ce qu’on appelle le bonheur est artificiel- le sage n’en demande pas plus. »
Belles lettres et mollesse 5 étoiles

Oui, objectivement, le roman n’est pas mal. Il avait pour projet d’exposer l’anormal, de défendre le pauvre et l’humain opprimé. Or je ne peux pas nier que cela est bien fait.

Néanmoins je me suis fait craquer la mâchoire à bâiller chaque mot de ce réquisitoire. En roman du terroir, tout fleure la campagne : c’est-à-dire le vide et l’espoir de castagne : 250 pages d’un lent mécanisme, molle maturation d’un sûr antagonisme, avant d’atteindre enfin au point tant attendu, mais de tant patienter nous ne sommes rendus, car après 80 pages pour l’action, il en est 50 autres de conclusion !

En somme ce roman prend un peu trop son temps. Mais il est un bon point qu’il faut noter pourtant : l’écriture y est belle de patois local. La structure est d’ennui, la lettre est optimale. J’avouerai toutefois n’être pas passé loin de me percer le ventre et tordre l’intestin à voir que sans arrêt, en discret furfurol, se distille sans fin ce substantif de « drole ».

Je noterai aussi deux pensées étonnantes : celles qu’on peut trouver une autre vie pensante sur une autre planète qui serait lointaine, ou qu’il serait possible pour l’espèce humaine de s’effacer du monde après un cataclysme, pensée à contre-temps du vieux cléricalisme encore vivotant en 99, et qu’un peuple nouveau l’étudierait à neuf. Le Roy mêle au terroir et à la tradition de la modernité de langue et de vision.

Froidmont - Laon - 32 ans - 28 décembre 2022