Voilà un roman trahi par sa quatrième de couverture et ses premières pages (l’éditeur n’a-t-il lu que celles-ci ??!), qui laissent attendre au lecteur un roman d’aventures, en l’occurrence une chasse au trésor, avec tout l’attirail de péripéties rocambolesques et exotique qui va avec. Embringué dans un tel voyage, le lecteur est vite déçu et amené à réviser son horizon d’attente. Certes, on a bien de l’exotisme (le désert du Kazakhstan), des méchants, des rebondissements, mais le romancier et son narrateur cessent assez vite de s’en préoccuper vraiment : « Je crois que Goulia et moi, on est de trop, dira le protagoniste à l’un de ses compagnons à propos de leur quête. C’est plutôt vous que ça regarde, Galia, le colonel et toi… » (p. 173). C’est que nous ne sommes plus en un siècle où l’on peut sérieusement croire en l’existence de trésors cachés, dotés qui plus est d’un potentiel salvateur.
Mais si l’amateur de roman d’aventures stricto sensu n’est pas rebuté outre mesure, il trouvera de l’agrément à la lecture du « Caméléon ». Au premier chef parce que Kourkov met en place un registre très particulier, dernier avatar, affadi, des tonalités pratiquées par les grands prédécesseurs que sont Gogol et surtout Boulgakov, à savoir un fantastique que l’on qualifiera de gentiment goguenard : des événements un peu étranges surviennent (du sable qui rend meilleur, des blessures qui guérissent toutes seules…) sans que le récit s’occupe véritablement de lever l’incertitude. L’auteur semble nous dire : ce serait bien si c’était vrai, mais si ça ne l’est pas, tant pis ; en général, on fait sans ! C’est ce registre inédit qui constitue, à mon sens, le principal intérêt du livre, même s’il n’empêche pas certaines facilités : la femme et l’amour d’une femme comme trésor de la quête de Nikolaï, ça sent son déjà-vu et son procédé pour clore l’intrigue. D’autre part, à prendre la chasse au trésor d’un air narquois, Kourkov se refuse ce qui permettait aux auteurs du XIXe siècle de captiver vraiment les lecteurs, c’est-à-dire une succession de péripéties inouïes et invraisemblables auxquelles ils croyaient pourtant dur comme fer. Rien de tel ici : une certaine monotonie (au terme d’une longue journée, les personnages s’endorment ; une surprise les attend au réveil, qu’il leur faut gérer ; la journée s’achève ; ils se rendorment ; une surprise…, etc.) et des invraisemblances (le manuscrit que recherche Nikolaï se trouve plusieurs pieds sous terre, dans le cercueil de Guerchovitch. Qu’à cela ne tienne : notre héros ira aussi sec le déterrer…) que l’auteur ne prend pas la peine de justifier.
Mais il y a moins d’égarement que de manipulation dans ces « défauts » : l’auteur n’est pas dupe de la monotonie et de l’invraisemblance de son intrigue. Et c’est sans doute là qu’il faut voir le sens du récit. Les personnages habitent un univers fait d’aléas, heureux ou malheureux, souvent répétitifs, qu’il serait vain de chercher à maîtriser. La plupart du temps, Nikolaï et consort ne comprennent qu’après coup ce qui leur arrive, ou bien ils ne le comprennent pas vraiment, ou encore pas du tout. Et la peinture de cette disposition métaphysique n’est pas déplaisante.
Reginalda - lyon - 58 ans - 23 juin 2008 |