Lire Elfriede Jelinek est une expérience unique. On descend profondément dans la conscience d'une femme révoltée, désabusée, dure qui se plaît à "démasquer l'idéologie véhiculée par les modèles collectifs" comme elle le dit. Elle décortique nos comportements et dénonce les mécanismes de nos sociétés.
Dans ce roman, Jelinek pose comme postulat de départ que le monde est soumis à l'idée de domination : un dominé et un dominant. Hermann, directeur d'une usine de papeterie, est mariée à Gerti, femme qui illustre parfaitement les idées du prix Nobel de littérature. Tous deux ont un enfant comme toutes les familles normales. Hermann est l'homme, sa femme est par conséquent sa possession, la dominée. Elle devient l'objet des plaisirs de monsieur qui manipule sa femme tel un jouet. On a souvent taxé ce roman de pornographique, pourtant si la pornographie émoustille le lecteur, ici ce n'est pas le cas. L'acte sexuel ressemble souvent à un viol, Gerti semble se soumettre aux désirs animaux de son mari. Jelinek ne cesse d'être ironique et parfois grossière, elle ainsi souligne la bestialité des rapports charnels qui manquent totalement de sensualité ici. Elle use même de termes comiques parfois pour décrire certains actes sexuels !
Jelinek a un regard sur le monde assez pessimiste. Les rapports humains reposent sur des rapports de force ( Hermann domine son épouse, il domine aussi les ouvriers qui domineront à leur tour leur propre épouse ... ), critique les autrichiens, le regard des parents sur leurs enfants, l'absurdité des codes sociaux ... Elle défend aussi la condition féminine car la femme annihile sa liberté au profit égoïste de l'époux, présenté souvent comme un porc.
La langue de Jelinek est très travaillée. Elle dit elle-même qu'elle a utilisé la langue d'Holderlin pour évoquer les dominés et le langage publicitaire et proverbial pour les dominants. Elle use de nombreuses images et alterne phrasé poétique et vocabulaire familier. Bien plus qu'un simple roman, il s'agit d'un roman à thèse. Le lecteur a le sentiment de pénétrer dans l'esprit du narrateur qui délivre sa vision du monde dont le couple Gerti/Hermann ne serait qu'une simple illustration.
Je dois reconnaître que ce roman demande une grande concentration. Il m'a été difficile de lire plus de 20-30 pages à la fois. Jelinek a un talent certain, mais peut décontenancer par sa manière de passer d'un sujet à l'autre et parfois par ces remarques hermétiques.
Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 21 août 2012 |