L'expérience nUe
de Aurélien Réal

critiqué par Muse1974, le 26 octobre 2006
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Le baiser d'un Inconnu
« Un jour ne plus se reconnaître
dans aucune contrée du langage
respirer, crier, créer- quoi ?
comment ? où ?

mur, mutation, franchissement des
barrières du son, de l’image par
le souffle, écriture du contact,
accélération des températures du cri,
l’aventure d’une autre rigueur.

la vie, c’est la vitesse du vide . »




Dans un four de douleur, un homme, à l’extrême sensitivité, cherche à respirer. Pour voisin, un incinérateur, émanation de gaz, particules de métaux lourds. Et nous humains, dans le déni d’une évidence : où aller lorsque partout la pollution nous accule à l’asphyxie ?

Il reste l’aventure d’un homme seul, aux prises avec l’immémorial refus, de voir ce qui nous tue. Plongée au cœur du granit du mensonge de notre humanité.


Dans cette quête d’authenticité par les mots, d’autres mots font irruption, ceux de Bataille, d’Artaud, de Bernard Noël, les mots des grands aventuriers du dernier siècle que L’expérience nue convoque et contredit ! Elle arrache les croûtes du refus-racine, traque l’inavouable de soi…

Brûlé à cette épreuve, touchant la roche nue de l’humain et du langage, le poète du vivant est celui qui éprouve d’abord le venin du non à la joie.

Parler l’asphyxie, donner mot et chair à l’étouffante douleur n’a pu se faire qu’en cassant la langue.

Mots torturés pour faire entendre le chant d’une respiration tout autre. Ne cherchez plus à comprendre, il s’agit de faire le saut au-delà…


Il aura fallu s’écorcher au granit de notre indifférence morbide, ramper dans les catacombes d’un monde appelant sa destruction et sa régénération.
Il aura fallu traverser les couches de jugement sur le corps, la réalité, les certitudes pour, dans le feu sans mort, sentir le baiser d’un Inconnu, de moi, de toi, de nous.

Je te souhaite ce choc, je te souhaite l’inouï.
l'expérience nue du langage 10 étoiles


Un écrivain perce à jour le non-dit du mal d’être homme.

Quelle expérience humaine plus cuisante, que de vivre l’asphyxie près d’un incinérateur ? Au
sens où il n’est plus nécessaire aujourd’hui d’entrer dans la chambre à gaz pour éprouver le
frisson violent devant sa mort, la chambre à gaz s’étant retournée. Effet de serre, milliers de périphériques, d’autoroutes, zébrant la terre de millions de voitures, aux sorties de bureaux, milliers d’usines fabriquant des ordures à incinérer qui prolifèrent… La chambre à gaz est partout ; « comme si de rien n’était ».

Qui s’arrête maintenant devant l’effroyable constat, qui consent à regarder en face cette horreur?
Qu’est-ce qui nous amène, au sommet de la modernité, à cette impasse du suicide compulsif ? Le monde entier en chacun de nous continue de ne rien s’avouer malgré les rares cris d’alerte? Pourquoi CA CONTINUE de se taire?

Etouffant de tout ce non-dit dans une ville de banlieue parisienne, un écrivain éprouve ce calvaire au quotidien par la proximité d’un incinérateur. Il entre totalement dans l’expérience.
Si nous sommes dans l’impasse alors que centaines de scientifiques, de politiques, d’intellectuels, écrivent, discourent, conférencent, n’est-ce pas que l’impasse est totale ? Son aveu est un processus où l’écriture fait le deuil des certitudes littéraires, et ouvre une brèche
dans ce déni collectif de l’expérience douloureuse. Il écrit comme il accepte la brûlure qui brûle son écrit. Consentir à la douleur est un feu qui défait le langage.

A mesure que ce processus s’écrit en se dépouillant, on est emporté par cette folie lucide dans un forage de la langue et du soi-disant corps qui nous mène au cœur du problème humain. Là où d’autres auteurs ont fait du corps le lieu ultime de la question de l’être, de Dieu - en dialogue avec Nietzsche, Artaud, Bataille, Bernard Noël et d’autres- cette écriture en agonie est le révélateur de l’impuissance de la pensée qui se débat face à l’impensable. Il n’y a plus ni « corps » ni « Dieu », seul l’épuisement de la texture du langage, là où ça n’accepte
pas d’éprouver, en toute sincérité, le refus de la vie nue.

L’empoisonnement a ouvert une brèche qui donne « soif d’outre corps ». Si nous nous laissons toucher, l’expérience nue opère magiquement quelque chose en nous. On comprend en ne comprenant plus. On sent, oui, que cette incroyable aventure est possible. Car elle est
la racine de toute expérience. Si nous sombrons, c’est qu’au fond de chacun, il y a ce refus qui fait le jeu de la mort! Le monde meurt de ne pas s’abandonner.

Mais il existe un espace où cela est vu, dans le silence de la solitude un dévoilement s’opère dont l’expérience nue est l’acte premier.

Rob_i - - 42 ans - 17 mars 2007