Présentation critique de Constantin Cavafy, 1863-1933 de Marguerite Yourcenar

Présentation critique de Constantin Cavafy, 1863-1933 de Marguerite Yourcenar

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire

Critiqué par Jules, le 21 juillet 2001 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 79 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 792ème position).
Visites : 6 448  (depuis Novembre 2007)

La nostalgie du temps qui passe, des occasions perdues

Dans cet ouvrage, Marguerite Yourcenar nous fait connaître le poète grec moderne qu'est Constantin Cavafy.
Elle ne fait pas que traduire ses œuvres, elle nous en donne également une explication ainsi qu'une biographie. Elle nous montre à quel point l'œuvre du poète et sa vie sont intimement liées. Elles ne font plus qu'un.
Cavafy est né à Alexandrie en 1863 et est mort dans cette même ville en 1933. Il exerça des métiers aussi différents que ceux de fonctionnaire et de courtier en bourse. Malgré qu'il passa la plus grande partie de sa vie en Egypte, son œuvre ne s’inspire quasiment pas de la pensée orientale et reste typiquement grecque. Il ne nous reste de cette œuvre que des pièces datant d'après ses cinquante ans. Il a détruit lui-même la plupart de ses poèmes de jeunesse.
Son œuvre ne semble pas écrite en vers, mais bien en petits textes.
Dans « Un vieillard », il écrit : « Il se dit qu'il fut trop crédule (quelle folie !) ; il a trop écouté la menteuse sagesse qui lui murmurait : « Demain… Tu as bien le temps ! » Il se souvient d’élans, d'innombrables joies sacrifiées. Maintenant chaque occasion perdue nargue sa sotte prudence »
Son œuvre est assez pessimiste et surtout tournée vers la fuite du temps, la vie perdue, le passé qu’il faut tenter d'oublier tant il paraît vaste alors que le futur est bien trop court. Les occasions ratées pèsent lourdement à la fin de la vie, il faut
à tout prix les saisir quand elles passent !

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Le rôle du souvenir et du fragment dans la poésie de Cavafy

8 étoiles

Critique de Yen (Toronto, Inscrit le 2 août 2004, 54 ans) - 8 août 2004

Économie, style sec et concret, sensualité, finesse d’esprit, obsession pour la beauté masculine, Alexandrie, jeunesse, suppression du contexte musulman autochtone, hellénisme. Voilà quelques concepts et mots-clé bien connus qui caractérisent la poésie de Constantin Cavafy. J’aimerais y ajouter le mot « souvenir » et le mot « fragment ». Je m’explique.

Les poèmes de Cavafy sont de trois types. Il y a les poèmes à personnages mythologiques (peu nombreux, mais ils existent), les poèmes à personnages historiques (d’habitude, il s’agit d’un personnage historique de deuxième ordre) et les poèmes que l’on pourrait appeler à personnages contemporains. J’aimerais parler de ce dernier type.

Beaucoup plus imprégnés de sensualité que les autres, les poèmes à personnages contemporains racontent souvent la rencontre entre deux jeunes hommes. Il s’agit parfois de deux amants qui se fréquentent régulièrement mais plus souvent il est question de deux inconnus. D’habitude, l’un d’entre eux n’est autre que le poète lui-même.

Le lecteur remarque tout de suite que le pivot de ces poèmes est le temps. En effet, l’action est toujours placée dans un passé que l’on nous dit ou que l’on sent lointain. Le poète présente donc l’aventure amoureuse comme un souvenir, comme un souvenir de jeunesse :

« En regardant une opale aux teintes grisâtres, je me
suis souvenu de deux beaux yeux gris que j’ai connu
il y environ vingt ans… » , (Grisaille) ;

"J’ai regardé si fixement la beauté que mes yeux sont
tout pleins d’elle. Lignes du corps, lèvres
empourprées, membres voluptueux, chevelures
évoquant celles des statues grecques, toujours
belles, même quand elles sont en désordre et
tombant un peu sur les fronts blancs. Visages de
l’amour, tels que les désirait mon art…Visages
rencontrés furtivement dans mes nuits, dans les
nuits de ma jeunesse…", (J’ai regardé si fixement…).


Remarquons aussi le rapport que le poète établit entre son art et ses aventures amoureuses dans le dernier poème cité plus haut. Pour Cavafy, en effet, le souvenir de la jouissance et du désir passés est l’élément de base de l’art (technê) :

« Je reste à rêver…Mon apport à l’art est fait de
sensations et de désirs…Quelques
visages ou lignes entrevues, vagues mémoires
d’amours inachevées…Mieux vaut
m’abandonner à l’art. Il sait façonner une certaine
forme de beauté, complétant la
vie de manière presque imperceptible, combinant les
impressions, combinant les jours », (Apports).

Le poète alexandrin ne vise pas donc l’historique ou le fait. Cavafy est en effet un poète du souvenir mais du souvenir qui arrive en forme de fragment (« vagues mémoires inachevées »). Son Art fait le reste.

En lisant « La Boutique » on comprend mieux. Cavafy nous parle là d’un bijoutier qui est fasciné par des bijoux façonnés en forme de fleurs. Ce bijoutier, nous raconte le poète, préfère ces fleurs artificielles aux fleurs que l’on trouve dans la nature. L’art est donc pour Cavafy quelque chose qui façonne nécessairement la nature. Il en va de même pour le vécu et l’historique.

À la différence de l’homosexualité de l’Antiquité grecque qui était pédérastique, l’homosexualité dont Cavafy parle dans ses poèmes à personnages contemporains a comme acteurs des jeunes hommes du même âge. La sexualité semble y être l’apanage d’hommes qui ne dépassent pas les trente ans. Sentiment de perte donc ? Deuil ? Oui et non.

La nature de la technê de Cavafy est le réflexe du fatalisme immanent à cette perception de la vie sexuelle. En effet, si le plaisir sexuel est fleur d’un jour, la technê compense. Elle permet au poète de revivre la jouissance et le désir. Le caractère fragmentaire des souvenirs ne sera pas un inconvénient pour la création poétique dans ce contexte mais au contraire une condition nécessaire pour son épanouissement. C’est parce que le souvenir est imparfait, vague, que l’art trouve la liberté nécessaire pour «combiner », « compléter » et « façonner ».


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