Le Bavard
de Louis-René Des Forêts

critiqué par Feint, le 10 août 2006
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Parole en crue
Qu’est-ce qui pousse l’écrivain à écrire ? En-deçà des hautes aspirations qu’on lui prête forcément, n’existe-t-il pas une première force irrépressible et moins noble, inavouée ? C’est à elle que Louis-René Des Forêts, le premier peut-être, ose donner un nom en intitulant son livre et en ne nommant pas autrement le narrateur-protagoniste de ce qui feint puis refuse d’être une histoire : Le Bavard. La parole y déborde. Que dit-elle, dès lors qu’il semble que rien ne vaille la peine d’être dit ? Elle se décrit elle-même. Elle ne fait que dire combien elle est incoercible. Le narrateur lui-même, jamais nommé, disparaît derrière elle. Il n’est que le sujet nécessaire. C’est abusivement que je l’appelle « narrateur » : le récit dans Le Bavard se réduit à l’anecdote exemplaire (les circonstances d’une « crise de bavardage », si j’ose dire), avant de disparaître. Quant au destinataire, certes il lui en faut un. Le bavard cependant n’est pas exigeant. Il se contentera volontiers de notre oreille distraite. Dit-il.

Publié en 1946, remanié en 1963.
Bavard … 5 étoiles

Etrange démarche que cet opuscule de 155 pages. Un bavard se livre à son vice, intarissable bavard, nous racontant un épisode de sa vie – un relativement banal épisode – dans une logorrhée interminable, racontant et introspectant la succession de sentiments éprouvés à l’infini.
C’est donc, effectivement, très bavard. Pour, in fine, tout remettre en cause – ben oui, je suis un bavard, qu’aurais-je à faire de la vérité puisque ce qui m’importe est de bavarder ?

« Et si je ne simulais pas le doute, et si je ne doutais pas, et si je savais parfaitement à quoi m’en tenir sur la véracité de mes propos et si enfin tout mon bavardage n’était que mensonge ? Vous vous détournez avec colère : « Alors, allez au diable ! » Je ne saurais trop vous engager à considérer la situation avec sang-froid, ne craignez pas d’avoir perdu votre temps à prêter l’oreille à des mensonges, puisque vous avez eu le privilège d’assister à une crise de bavardage, ce qui était certainement plus instructif que d’en lire un rapport, fût-il pur de toute intention littéraire. »

Un exercice de style aux antipodes des ouvrages où la forme est là pour exposer le fond, pour raconter une histoire. Foin d’histoire ici, c’est la forme, ce n’est que la forme, qui importe. Et c’est une forme sophistiquée, presqu’alambiquée, qui nait du coup de la démarche. Une forme qui donne ceci par exemple :

« De là à m’accuser de lâcheté, il n’y a naturellement qu’un pas. Pourtant, afin d’aider à comprendre certaines de mes attitudes les plus ambigües, je n’ai pu faire moins que m’étendre avec une insistance souvent lassante sur ce qui toujours paru se prêter mal à l’expression, au risque de voir un grand nombre de mes lecteurs abandonner la partie, quand tout me gardait d’user de persuasion pour leur faire partager une émotion probablement intransmissible, à leurs yeux d’un intérêt douteux, et aussi dépourvue que possible des vertus particulières qui s’attachent aux émotions usuelles, mais que, pour la compréhension de l’ensemble et en dehors de toute autre considération, j’étais bien obligé de mettre en évidence. »

Une démarche étonnante et un résultat qui m’a beaucoup évoqué un de ses contemporains : Thomas Bernhardt, à l’écriture tellement singulière également.
A ne réserver qu’à des fous épris de littérature. Lecteurs sur une plage, l’été, s’abstenir !

Tistou - - 68 ans - 18 juin 2013


Quelle logorrhée ! 9 étoiles

Un bavard, sans aucun doute !
Comme il se décrit lui-même : « Cet individu n’a strictement rien à dire et cependant il dit mille choses ; peu lui importe l’assentiment ou la contradiction d’un interlocuteur et cependant il ne saurait se passer de celui-ci, auquel il a d’ailleurs la sagesse de ne demander qu’une attention toute formelle. »

Tout est dans le style. Certes ce bavard raconte une anecdote, vraie ? fausse ? On ne le saura pas et ça n’a pas d’importance.
Des phrases courtes ou qui n’en finissent plus, un livre qu’il faudrait presque lire à voix haute pour profiter de la musique des mots.

On est pris dans le flot de ces paroles, impossible de lâcher le livre, d’autant que, de temps en temps, l’auteur relance son lecteur : « Reviens vers moi, lecteur, reviens, j’en ai fini avec les causes et je passe sans coup férir à la description du phénomène proprement dit. »

Un exemple pour vous tenter :
«..mon unique souci était de me persuader que j’avais un lecteur. Un. Et un lecteur, j’insiste, ça veut dire quelqu’un qui lit, non pas nécessairement qui juge. Au reste, je n’interdis pas qu’on me juge, mais si le lecteur brûle d’impatience, s’il se dessèche d’ennui, je le prie de n’en rien laisser paraître, je tiens à lui signifier une fois pour toutes que je n’ai que faire de ses bâillements, de ses soupirs, de ses vociférations à voix basse, de ses coups de talon sur le parquet, est-ce ma faute si j’ai un faible pour les gens polis ? et notez que je ne vous demande pas de me lire vraiment, mais de m’entretenir dans cette illusion que je suis lu : vous saisissez la nuance ? »

Ludmilla - Chaville - 69 ans - 8 décembre 2012